Sustainable Brands Paris : une première édition en demi-teinte

La première édition du salon Sustainable Brands en Europe a fermé ses portes jeudi 25 avril. Organisée par l’agence de communication Pixelis, elle s’est tenue à Paris, au Carrousel du Louvres. Les organisateurs du salon voulaient en faire LE grand événement européen du développement durable, réunissant "la plus grande communauté internationale de leaders de l’innovation positive". Un pari à moitié gagné. Ou à moitié perdu. Explications (en accès libre).
Près de 3000 participants réunis pour un événement intégralement en anglais autour de la durabilité des marques. Des intervenants de tous horizons, principalement de grandes marques ou start-ups. Quelques ONGs. Pas de secteur public.
En se baladant dans les allées du salon, on découvre des "hubs thématiques", autour de la nutrition, de la ville, des sports ou encore de la finance. On y croise Garnier, qui expose sa nouvelle marque Bio, ou Biotherm, qui présente sa nouvelle bouteille "Water Lover", presque intégralement biodégradable. On peut participer à des ateliers "slow food", biomimétisme, boite à outils d’une marque durable, mais aussi yoga et hypnose.
Jeune, international et marketing
L’organisation de ce premier salon Sustainable Brands à Paris est bien rodée, à l’américaine. Pour les plénières, on tente des formats interactifs, comme la "chaise vide", où le public peut s’inviter dans la conversation. Des cartes vertes et rouges sont disposées sur les sièges, pour exprimer son (dés)-accord. Les jeunes sont présents : on les appelle les "youth activators". Ils portent un tee-shirt bleu sur lequel il est marqué "We are the future. Let’s talk". Les journées démarrent avec les interventions d’un "Chief Poetic Officer".
Une créativité rafraichissante pour certains, presque agaçante pour d’autres. Un format bien différent d’autres évènements de développement durable, à l’instar de Produrable, qui a rassemblé plus de 8500 personnes début avril. Un public de professionnels dans les deux cas, "mais ici on s’adresse à des marketeurs, pas à des professionnels du développement durable", nous fait remarquer une participante.
Mais sur le fond, que retenir de l’événement ?
Les limites de la RSE
"Qu’avons-nous mal fait?" se demande-t-on au cours d’un panel dédié à la Responsabilité Sociale des Entreprises. La RSE est-elle le bon outil ? A-t-elle généré les changements attendus ? Les intervenants sont unanimes : non.
"Le concept même de Corporate Social Responsibility (RSE) est erroné", lance Virgine Helias, Chief Sustainability Officer de Procter & Gamble, l’un des principaux partenaires de l’événement. "Elle est nécessaire mais pas suffisante", renchérit Andrew Wilson, Directeur Exécutif de Purpose Edelman. Pourquoi ? Parce qu’elle repose encore trop souvent sur des divisions et équipes séparées au lieu d’infuser le concept de durabilité au cœur de la stratégie et du business model d’une entreprise.
Cela signifie-t-il que les marques doivent devenir activistes ? "Surtout pas", assure Thomas Kolster, fondateur et CEO de Goodvertising : "l’approche blanc ou noir n’est pas la bonne. Les marques doivent chercher à inclure, pas à exclure’. Par contre, elles se doivent d’être crédibles : "j’en ai assez d’entendre les distributeurs dénoncer le gaspillage alimentaire et le plastique, ils en sont tous responsables".
Quelle vision du développement durable ?
Certains participants sont dubitatifs sur les engagements des marques : "elles sont venues mettre en avant leurs quelques initiatives durables, mais leur business model ne change pas".
Au-delà de la communication, le flou demeure sur ce que les marques entendent par "durabilité". Les aspects climat, avec l’éco-conception et la réduction des plastiques, ont été particulièrement traités au cours du salon. Les aspects sociaux et de gouvernance étaient quant à eux presque absents du programme.
À ce titre, l’exemple de Procter & Gamble est parlant. Le groupe a pris des engagements forts sur le plastique et les émissions de gaz à effets de serre dans le cadre de son programme ‘ambition 2030’. La marque annonce viser un objectif de 50 % de réduction d’utilisation de plastiques vierges dans ses emballages d’ici à 2030. Mais rien sur les droits humains, un enjeu pourtant clé de sa chaîne de valeur. Fin 2016, la marque - ainsi que 8 autres multinationales - était mise en cause par Amnesty International pour des situations de travail des enfants et d’exploitation de travailleurs dans ses approvisionnements en huile de palme ‘durable’ en Indonésie.
Il est à noter que certaines éditions de Sustainable Brands aux États-Unis sont plus techniques, et abordent des sujets comme les science-based targets (SBT), les implications de la TCFD (Task Force for Climate Related Financial Disclosures, les métriques de mesure ou encore l’intégration des aspects ESG dans le management des risques d’une entreprise.
Un manque flagrant d’ambition
C’est ce que regrettent de nombreux participants de cette première édition parisienne : les marques n’ont pas été assez challengées sur la cohérence de leurs actions lors de leurs interventions. Il s’agit d’ailleurs de l’essentiel du message du manifeste des jeunes à l’issue du salon : "vous ne parlez que de vos réussites. Mais vous n’allez pas assez loin, pas assez vite".
Il faut dire que le manque d’ambition et le double-discours ont parfois été flagrants. L’intervention de Jean-François Cirelli, CEO de Blackrock France, en est une bonne illustration. Le géant de la finance internationale n’a de cesse de revendiquer son positionnement responsable. Larry Flink, son CEO au niveau global, promettait l’an dernier un ‘nouveau modèle d’engagement actionnarial’ avec les entreprises dans lesquelles il investit.
"Le monde de la finance a considérablement évolué au cours des 2 ou 3 dernières années. Les investisseurs ont compris que durabilité et performance financière n’étaient pas contradictoires", assure Jean-François Cirelli. "Concrètement, est-ce que cela veut dire que si vous achetez des actions, vous irez challenger l’entreprise sur sa stratégie?" lui demande le modérateur Thomas Kouchner. "Non", répond Jean-François Cirelli : "on peut faire notre part, mais ne nous demandez pas une révolution". Face à ce manque d’ambition flagrant, les "youth activators" ont levé haut leur carton rouge.
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