Jean-François Rial : "c'est le comportement personnel qui a le plus d'importance" (Voyageurs du Monde)

Propos recueillis par Antonin Amado | 14 Juillet 2019 | 1231 mots

Rial jean-francois

Dans le monde du tourisme, la personnalité de Jean-François Rial détonne. Le PDG de Voyageurs du Monde, et ancien proche d'Emmanuel Macron, rejette en bloc la honte de prendre l'avion. Il affirme qu'il reste possible de voyager de manière responsable, à la condition que les professionnels du secteur, mais surtout les clients, prennent conscience de leurs responsabilités. Il étrille au passage le gouvernement qui n'a, à ses yeux, aucune vision quant au développement d'un tourisme éthique (en accès libre).  

RSEDATANEWS : Il y a tout juste un an, nous publiions une interview d’Agnès Weil, la directrice RSE du Club Med. Dans cet entretien, elle nous confiait qu’"au fond, ce n’est pas raisonnable de voyager. Mais ça le serait encore moins d'arrêter". Partagez-vous son opinion ? 
Jean-François Rial : je ne partage pas du tout l’analyse d’Agnès, que je connais bien et que j’estime. Je pense au contraire que voyager a une extraordinaire utilité sociale, qui rapproche les peuples et favorise la tolérance. C’est assez raisonnable de voyager, il faut simplement le faire en annihilant les conséquences négatives. Il y a une façon intelligente de voyager. Et puis une façon qui l’est beaucoup moins. Si vous allez bronzer pendant 15 jours dans un hôtel-club qui traite mal ses salariés et n’a aucune politique de gestion de l’eau, sans rien connaître du pays dans lequel vous vous trouvez dans une période de forte affluence, le tout sans absorber les émissions de CO2 que vous émettez, c’est catastrophique. Si, au contraire, vous choisissez un prestataire respectueux de l’environnement et de son personnel et que vous plantez via une ONG un arbre par heure de vol et par personne pour absorber le CO2, je pense que vous avez fait quelque chose de bien.

RSEDN : La responsabilité de voyager de manière responsable incombe-t-elle d’abord aux voyageurs ou aux professionnels du tourisme ?
J-F. R : d’abord aux voyageurs. Chacun est responsable de ses actes. Car si un voyagiste emmène ses clients en Inde, qu’il absorbe leur CO2, qu’il les héberge dans des hôtels qui respectent l’environnement mais que ces mêmes clients se baladent en jetant des détritus en plastique, alors il n’y est pas pour grand-chose. C’est le comportement personnel qui a le plus d’importance. Pourquoi chez Voyageurs du Monde compensons-nous 100 % de nos émissions? Parce que nos clients ne le font pas. Ils pourraient très bien utiliser nos services et se prendre en main par ailleurs pour compenser leurs émissions de CO2.

"Les voyagistes n’ont que très peu de prises sur le comportement de leurs clients"

RSEDN : la responsabilité des voyagistes va-t-elle devenir un facteur différenciant et donc un outil de création de valeur dans le futur pour les entreprises du secteur ? 
J-F. R : je l’espère mais j’en doute un peu. Je ne crois pas que les consommateurs choisissent leur voyagiste en fonction de ce type de critères. Pas pour l’instant du moins.

RSEDN : on parle pourtant de plus en plus de la honte de prendre l’avion, la fameuse flygskam
J-F. R : mais cela ne concerne que le CO2… Les voyagistes n’ont que très peu de prise sur le comportement de leurs clients. Nous sommes confrontés à 4 typologies de comportements : il y a ceux qui décident de ne plus voyager en avion, ceux qui s’en "foutent" et qui sont assez nombreux, ceux qui veulent voyager de manière consciente mais qui sont très minoritaires et enfin ceux qui sont contents que certains voyagistes adoptent des politiques responsables mais que cela ne dérangerait pas plus que cela si rien n’était fait.

RSEDN : on ne parle là que des émissions de gaz à effet de serre. Est-ce que le carbone n’est pas l’arbre qui cache la forêt ? 
J-F. R : si, clairement. Même s’il faut reconnaître qu’il existe une urgence absolue sur cette question. Il est sain et nécessaire que les professionnels du secteur prennent leur part sur ce sujet.

"Une taxe idiote"

RSEDN : vous êtes pourtant très critique à l’égard du gouvernement qui vient de faire adopter un amendement qui vise à instaurer une écotaxe sur les billets d’avions. Une taxe plafonnée à 18 euros qui semble bien trop faible pour faire régresser les émissions du secteur aérien... 
J-F. R : c’est une taxe idiote. Elle n’absorbera en rien les émissions de CO2 du secteur aérien. C’est dommage car il existe des solutions. Par exemple mettre en place une "contribution planète" qui alimenterait un fonds carbone destiné à absorber les émissions de CO2. Au lieu de quoi, on se retrouve avec une taxe qui n’aura pas d’impact sur l’activité ni sur la préservation de l’environnement. Elle ne sert à rien si ce n’est à combler la dette de l’État.

RSEDN : auriez-vous souhaité une obligation de compensation ? 
J-F. R : je n’appelle pas ça de la compensation mais de l’absorption. La différence entre ces deux notions ? Cela veut dire que l’on est sur des projets directs et pas que l’on passe par des tiers à qui l’on ferait confiance par principe pour compenser nos émissions via des actions dont nous ne saurions rien. Il s’agit ensuite de projets additionnels, qui n’auraient pas été menés si nous ne les avions pas financés. Ce qui exclut les projets d’évitement, qui sont en soi scandaleux. Notre stratégie repose sur 3 axes : être aussi économe que possible en émission, financer la transition et absorber le CO2 résiduel émis car le secteur du tourisme ne pourra pas réaliser totalement sa transition énergétique en 30 ans, contrairement à celui de l’électricité par exemple.

RSEDN : le secteur aérien ne prend lui pas du tout sa part…
J-F. R : En tant qu’écologiste convaincu, je suis persuadé que le secteur aérien doit prendre sa part à la lutte contre le réchauffement climatique. Ce qu’il ne fait clairement pas aujourd’hui. Cela dit, ils n’ont pas rien fait non plus puisque les acteurs de ce secteur se proposent de réduire leurs émissions de 50 % en 2030. L’industrie maritime, en particulier le secteur du fret, n'a quant à elle formulée aucune proposition.

RSEDN : À quoi ressemblera un voyagiste responsable d’ici 5 ans ? 
J-F. R : sans fausse modestie, à ce que nous réalisons déjà aujourd’hui avec Voyageurs du Monde. Nous sommes neutres en carbone. Nous vérifions que tous nos partenaires dans le monde respectent nos critères sociaux et environnementaux. Et nous gérons nos déchets, en particulier en évitant d’utiliser du plastique et en recyclant au maximum ce qui peut l’être.

RSEDN : le tourisme durable n’est-il pas au fond un tourisme de luxe réservé aux plus riches ? 
J-F. R : il ne faut pas confondre niveau de service et de conseil avec niveau de prestation. Nous travaillons avec des hôtels ayant une politique responsable mais qui n’ont que deux étoiles. Voyageurs du Monde développe des marques qui respectent à 100 % nos exigences mais qui ne sont pas du tout haut de gamme. C’est tellement vrai que des confrères qui sont des voyagistes de masse commencent à nous copier. Je leur transmets d’ailleurs bien volontiers mon savoir-faire.

Note de la rédaction : Voyageurs du Monde est co-investisseur du fonds multi-corporate d'impact investing "bas carbone" LCF - Livelihoods Carbon Fund, aux côtés de DANONE, SCHNEIDER ELECTRIC, CREDIT AGRICOLE SA, MICHELIN, HERMES, SAP, CAISSE DES DEPOTS, LA POSTE, et FIRMENICH (voir la fiche du fonds dans notre référentiel data ci-dessous)

 

(Photo : Voyageurs du Monde, DR)

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