Fabrice Bonnifet : "la RSE n'est pas le cœur de la loi PACTE" (C3D)
Les membres du C3D (le Collège des Directeurs du Développement Durable) ont accueilli avec réserve le projet de loi PACTE présenté en conseil des ministres le 18 juin dernier. Ils regrettent globalement que l’idée qu’il ne peut pas y avoir de performances financières sans performance extra-financières ne transparaisse pas davantage de ce texte. Fabrice Bonnifet, président du C3D, espère tout de même qu’il sera suffisant pour insuffler une dynamique de transformation au sein des entreprises. Entretien (en accès libre).
RSEDATANEWS : La RSE est-elle la grande oubliée des 70 mesures de la loi Pacte récemment présentée en conseil des ministres par le ministre de l’économie Bruno Lemaire?
Fabrice Bonnifet : La RSE n’est en tout cas pas le principal sujet de cette loi. On s’attendait à mieux surtout après le rapport Notat-Senard commandé par le gouvernement. Cela n’a finalement pas été le choix du gouvernement qui a repris assez peu de propositions de ce travail de synthèse réalisé par Jean-Dominique Senard et Nicole Notat. Reste à voir quelle sera la mouture finale du texte et in fine les décrets d’application. Le chemin législatif est encore long. Le nombre d’articles ne pose pas de problème en soi. Il suffit d’un seul, qui soit particulièrement impactant, pour changer beaucoup de choses.
RSEDN : Quels exemples avez vous en tête ?
FB : Depuis 2003, beaucoup de lois sont sorties ; la loi NRE, les deux texte issus du Grenelle de l’Environnement, la loi portant sur la Transition énergétique et la Croissance Verte… Des textes qui comptaient plus d’articles que de décrets. Or ce qui compte réellement, ce sont les décrets, c’est à dire les règles qui s’appliqueront directement aux entreprises.
RSEDN : Que reste-t-il du rapport Notat-Senard ?
FB : Essentiellement une exigence de meilleure prise en compte des exigences sociales et environnementales par les entreprises. Une exigence qui devra être inscrite dans leurs statuts. Elles ne pourront de toute façon pas durer et se développer sans prendre en compte ces deux dimensions. À ce titre, elles devront les intégrer dans leur modèle économique, publier leurs objectifs et rendre compte à leurs parties prenantes. Elles devront démontrer au fil du temps qu’elles peuvent être pérennes mais pas au détriment des écosystèmes, pas au détriment du renouvellement des ressources, pas au prix d’une casse sociale en délocalisant sa production dans des pays à faibles coûts, etc. Il n’est plus possible d’être cynique dans notre manière de créer de la valeur. Si la France vote cette loi et qu’elle s’applique aussi aux entreprises étrangères qui évoluent sur notre sol, ce sera une véritable avancée. Le temps est venu de considérer que c’est l’environnement et le social qui créent la valeur. Et pas l’inverse.
"Pas de business durable dans des écosystèmes dégradés"
RSEDN : La modification de l’objet social de l’entreprise est-elle suffisante pour faire évoluer efficacement les business models ?
FB : Je n’en sais rien. Ce n’est pas le sujet. Ce qui importe, c’est la dynamique que cela insuffle. Cela va tout de même obliger les conseils d’administration à se positionner sur l’intégration de la préservation de l’environnement dans le modèle économique. J’espère que cela incitera les décideurs à changer de regard sur ces questions-là. Il faut que l’environnement cesse d’être la plus importante des choses secondaires. Elle doit devenir la plus importante tout court car on sait qu’il ne peut y avoir de business durable dans des écosystèmes dégradés.
RSEDN : cette modification de l’objet social reste du domaine des engagements volontaires, de la soft law…
FB : Certaines entreprises vont utiliser cette soft law pour transformer leur modèle. Et puis il y a les autres. Des pelotons vont progressivement se dessiner entre ceux qui mettent en place des choses sincères et qui les mesurent, et ceux qui ne le font pas. Les enjeux d’image sont extrêmement importants pour les entreprises. Le cynisme finit par se voir. Et il ne paie ni auprès du public ni auprès des collaborateurs. Ils sont majoritairement très sensibles au développement durable et ils souhaitent que leur entreprises soient ambitieuses sur le sujet. Cette pression sociétale va faire évoluer les entreprises.
RSEDN : Le discours des dirigeants a-t-il évolué ?
FB : Il y a 10 ans, ces questions n’étaient jamais abordées. Il y a 5 ans, elles l’étaient par ces hauts dirigeants mais de façon très timide. Aujourd’hui, de grands capitaines d’industries évoquent enfin de nouvelles façons de dialoguer, de transformer, de rapporter, en particulier via le reporting intégré. Nous nous trouvons à un point de bascule. La surconsommation des matières premières est chronique, l’atmosphère est sursaturée de CO2, la biodiversité s’effondre… La prise de conscience est en train de devenir collective, des plus pauvres qui sont les premières victimes de ce dérèglement jusqu’à l’ensemble de la population. Pour que les choses changent vraiment, il faut une vision ambitieuse du dirigeant, il faut découpler progressivement la création de valeur à la consommation des ressources et il faut être réaliste. Avoir conscience que certains secteurs changeront plus vite que d’autres.
Stabilité législative
RSEDN : Les entreprises ont-elles aussi besoin de stabilité législative ?
FB : C’est vital. Nous demandons au législateur d’arrêter de faire la girouette, comme c’est notamment le cas en matière d’énergie renouvelable. Les entreprises ont besoin que le cap de la réglementation soit fixe. Mais si on change les règles tous les 4 matins, elles n’ont pas le temps de s’adapter ni de déployer leurs procédures internes. Il est faux de dire que le secteur privé est contre la régulation. Il est contre une régulation à géométrie variable.
RSEDN : d’où l’intérêt d’avoir des lois ambitieuses et de long terme …
FB : Absolument. Car si ces règles du jeu ne sont pas stables, nous ne serons pas en mesure d’investir. C’est particulièrement vrai pour le secteur de l’énergie où l’horizon se situe en 2050. C’est la même chose pour tous les secteurs industriels. Nous demandons au législateur de fixer des règles ambitieuses, simples et stables.
RSEDN : Le développement de l’épargne salariale est-il vraiment un outil RSE ?
FB : Oui car cela responsabilise les collaborateurs, ça renforce leur sentiment d’appartenance à leur entreprise. Si le management est bienveillant, ils veulent participer à la création de valeur. Dans ce cadre-là, l’épargne salariale est un bon levier. Pour autant, ce n’est pas suffisant. Il n’existe pas de recettes magiques.