Cécile Duflot : "un dialogue franc avec les entreprises" (OXFAM)

Propos recueillis par Antonin Amado | 07 Mars 2019 | 827 mots

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Changement climatique, égalité hommes-femmes, fraudes fiscales, répartition des richesses … OXFAM ne ménage ni les acteurs publics ni ceux du secteur privé. Une franchise dans le discours revendiquée par Cécile Duflot. La directrice générale de l'ONG juge indispensable de tenir à ces parties prenantes un discours de vérité, à la mesure des crises actuelles. Entretien. (En accès libre).

RSEDATANEWS : les combats d’Oxfam sont connus : inégalités sociales et répartitions des richesses, lutte contre la fraude fiscale, préservation du climat … Mais quels sont les interlocuteurs auxquels vous vous adressez vous en priorité ? Les gouvernements, l’opinion publique ou le secteur privé ?

Cécile Duflot : nous parlons avec tout le monde, et de manière simultanée. Pourquoi ? Parce que nous sommes convaincus que pour s'attaquer aux questions que vous avez soulevées, il faut que tout le monde agisse. Je crois qu'on peut faire changer les choses par une mobilisation collective. La question climatique constitue un bon exemple. Avec "L'affaire du siècle" , nous avons mobilisé plus de 2 millions de citoyens qui ont signé notre pétition, nous avons attaqué l'État qui dispose de plusieurs outils à sa disposition pour agir : la fiscalité bien sûr, mais aussi le levier de la commande publique. Une problématique qui concerne directement les entreprises.

RSEDN : comment qualifiez-vous le dialogue que vous entretenez avec le secteur privé ?

D : nous discutons avec les entreprises, bien sûr. Mais ce dialogue est franc, que ce soit sur les écarts de salaire, sur le climat ou l'évasion fiscale. Nous sommes d'autant plus libres de le faire que nous ne contractons pas de partenariat comme peuvent le faire d'autres ONG. Nous dialoguons avec tous ceux qui le veulent. La preuve, nous sommes membre de "comité de parties prenantes" de groupes comme Nexity ou Michelin. Notre rôle, c'est de mesurer la différence entre leurs engagements et la réalité, à l'image du rapport que nous avons publié à l'automne dernier sur le financement des industries fossiles par les banques françaises.

Refuser l'impuissance

RSEDN : La loi Pacte, actuellement en discussion au parlement, veut réformer le statut de l’entreprise. Cette loi place de facto l’entreprise au centre du jeu et satellise les "parties prenantes". Estimez vous que c’est désormais le secteur privé et donc les entreprises qui sont désormais au centre de l’organisation sociale aujourd’hui ?

C. D : je crois que c'est une erreur de penser que tel ou tel acteur est au centre du dispositif social qui est le nôtre. Comme je l'évoquais sur la question du climat, l’interaction de l'État et des collectivités territoriales avec les entreprises est très importante. Elle prend forme via le travail législatif et la puissance réglementaire mais aussi via la commande publique. Imaginons que l'ensemble des cantines scolaires de France n'achètent plus de yaourts, de petits suisses ou de compotes contenus dans des récipients en plastique, mais dans des récipients qui doivent être consignés. Cela aurait un impact direct sur l'industrie agroalimentaire, sur celle des emballages et sur l'organisation du système de réutilisation de ces contenants.

RSEDN : estimez-vous que l'État s'est tout de même auto-condamné à une forme d'impuissance depuis une trentaine d'année ? La question corollaire est celle-ci : si oui, comment tentez-vous de peser le plus possible sur la réalité ?

C.D : la question c'est surtout de savoir si on accepte le mode de fonctionnement actuel. Si on pense que les situations sont immuables, en particulier en matière de pauvreté et d'inégalités, alors on bascule vite dans la fatalité. Ce n'est pas notre vision des choses chez Oxfam. Nous ne prenons pas acte du désengagement du politique ni du fait que les gouvernants aient décidé une fois pour toutes d'être impuissants. Ce qui ne nous empêche pas d'être lucides. C'est en particulier pour cela que nous mobilisons les citoyens. Cela fonctionne aujourd'hui sur les questions climatiques ou sur l'agroalimentaire.

RSEDN : le secteur privé a du mal à penser à la fois le court et long terme alors même que la pérennité des entreprises est en jeu. Comment l'expliquez-vous ?

C.D : le capitalisme financier est ultra court-termiste. Il empêche en particulier les groupes de penser le moyen et long terme. C'est particulièrement vrai quand se met en place un pacte entre les dirigeants et les actionnaires sur le montant des salaires des hauts revenus et le versement de dividendes. Au détriment à la fois de la hausse des salaires de l'ensemble des salariés de l'entreprise mais aussi d'investissements et de réserves constituées pour sa transformation. Ce qui est pourtant fondamental pour des entreprises ou des industries qui ont pour vocation, par définition, leur pérennité. Les échelles de temps sont par ailleurs de plus en plus courtes. Mais les choses évoluent positivement.

RSEDN : la parole des ONG est-elle davantage entendue par les entreprises ?

C.D : Oui. Et j'ajouterai, malheureusement. Pour quelle raison? Parce que nous avions anticipé les difficultés actuelles sur la répartitions des richesses ou la crise climatique. Cette dernière est bien plus rapide que ce que l'on avait pu imaginer. Nous vivons le pire des scenarii...

(Crédit photo : Oxfam, DR)

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