Agnès Weil : "au fond, ce n’est pas raisonnable de voyager. Mais ça le serait encore moins d'arrêter" (Club Med)

Propos recueillis par Antonin Amado | 10 Juillet 2018 | 1197 mots

WEIL Agnes

Alors que les vacances estivales battent leur plein, la question d’un tourisme de masse plus responsable se pose désormais avec acuité. Le Club Med est bien conscient des enjeux de responsabilité liés à son modèle économique. Le groupe met depuis longtemps en œuvre de nombreuses actions sociales et environnementales partout où ses villages sont implantés. Mais les émissions de CO2 liés au déplacement de sa clientèle restent à ce jour un problème insoluble. Entretien avec Agnès Weil, la directrice développement durable et mécénat du groupe (en accès libre).

RSEDATANEWS : Vous êtes directrice du développement durable et du mécénat du Club Med. Quelle différence faites-vous entre ces deux notions ? 
Agnès Weil :
C’est une question que nous nous posons depuis longtemps au club Med. Au moins depuis 2005. En simplifiant les concepts, on pourrait dire que la responsabilité sociale et environnementale consiste à participer à un développement durable. Concrètement, cela consiste à gérer au mieux ses impacts, ce qui implique de les connaître et de les mesurer. Il s’agit ensuite de minimiser les mauvais et maximiser les bons. Le mécénat, qui est géré chez nous par la fondation, c’est allez au-delà des obligations de son métier. Quand on accompagne des producteurs locaux pour approvisionner nos villages, on se situe clairement dans notre chaîne de valeur. Ce n’est plus vraiment le cas lorsque l’on noue un partenariat avec une école située à proximité de l’une de nos installations. De même lorsque l’on soutient des associations qui mènent un travail de prévention pour lutter contre le tourisme sexuel touchant les enfants. Nous ne sommes pas concernés mais nous avons tout de même considérés que nous avions un rôle à jouer pour endiguer ce fléau lié au tourisme. Cela dit, la frontière est parfois floue. Et tend à le devenir de plus en plus.  

RSEDN : Ce flou vous aide-t-il à "vendre" la RSE en interne ? Vos clients n’ont pas nécessairement envie d’entendre parler de gaspillage alimentaire ou de préservation des ressources lorsqu’ils sont en vacances dans vos villages...
AW :
Pas vraiment. Le club a toujours eu une certaine conscience de l’importance du développement durable. Cela remonte aux années 50 ! Le souci de la dématérialisation était déjà présent alors que l’on se trouvait seulement à l’aube de la société de consommation. Cela passait aussi par le soin apporté à la gestion des ressources humaines. Des GO heureux font des … GM heureux. On peut également citer l’architecture de nos villages qui s’inscrit dans les spécificités de chaque territoire ou la production locale d’eau et d’électricité. Le terreau pour la RSE était déjà fertile. Mais la "responsabilité" n’était pas revendiquée. Elle semblait surtout logique.

"Si on attend que les clients viennent nous tirer par la manche, c’est que l’on est vraiment en retard"

RSEDN : Vous avez participé à la création du département développement durable du Club Med en 2005. Quel regard portez vous sur le chemin parcouru depuis 13 ans ? 
AW :
On peut parler d’une montée en puissance régulière. Il n’y a pas eu de grand soir même si une accélération certaine s’est fait sentir depuis 3 ans et la tenue de la COP21. La prise de conscience est multifactorielle et progressive.

RSEDN : Vos clients vous interpellent-ils aujourd’hui davantage sur des thèmes liés à la RSE ? 
AW :
Oui mais pas de manière violente. Paradoxalement, si ces interpellations étaient exprimées de manière plus virulente, cela nous aiderait à nous transformer plus vite. Mais si on attend que les clients viennent nous tirer par la manche avec force, c’est que l’on est vraiment en retard. Le sujet qui leur tient le plus à cœur est celui du gaspillage alimentaire. En raison de ses buffets, le Club MED a toujours une image d’abondance, souvent perçue comme de la surabondance. Or nous avons des réponses à leur fournir. Nous avons un savoir faire de gestion des buffets très anciens. Le gaspillage, qu’il faut distinguer des déchets, est de 101 grammes par personnes. On se situe dans la norme des benchmarks de la restauration collective. Comment y parvient-on ? On utilise des vaisselles permettant de proposer des portions individuelles, nos chefs cuisine à la minute et nos plats ne sont pas assaisonnés ce qui permet de les conserver et de réutiliser la matière première.

RSEDN : Comment tentez-vous de maîtriser l’impact de vos constructions immobilières ? 
AW :
Nous essayons au maximum de les faire certifier. Nous avons développer une certification spécifique pour les resorts de vacances avec BREEAM (une méthode d'évaluation du comportement environnemental des bâtiments développée par le Building Research Establishment, NDLR). Les autres référentiels n’étaient pas adaptés. Nous essayions aussi de travailler avec les propriétaires de nos installations. Cela nous oblige à être souple car certains sont très allants quand d’autres sont réfractaires. Nous présentons nos éco-standards à nos partenaires en amont. Nos procédures incluent une certification externe sérieuse.

RSEDN : Quelle places accordez vous à la démarche de certification ? 
AW :
Elle est importante. Nous activités touristiques sont certifiées par le label Green Globe, reconnu par le GSTC (le Gobal Sustainable Tourism Council, NDLR). Tous nos villages sont audités chaque année. Nos circuits découvertes sont aussi certifiés ATR (Agir pour le Tourisme). Nous supprimons aussi au maximum le plastique jetable... Nous essayons d’assurer ce socle minimal. S’il ne constitue pas la part la plus glamour de nos actions pour nos clients, il constitue un gage de qualité.

"Il va falloir ralentir"

RSEDN : Vous êtes en revanche moins ambitieux sur les émissions de gaz à effet de serre. C’est pourtant une question structurante pour le secteur du tourisme…
AW :
Vous avez raison. C’est un sujet important. Au fond, ce n’est pas raisonnable de voyager. Mais ça l’est encore moins de s’arrêter brutalement car de nombreux pays, populations et territoires dépendent aujourd’hui d’activités liées au tourisme. Nous sommes face à un enjeu de transition qui peine à être abordé par les acteurs du secteur. Les impacts en terme de CO2 étaient déjà connus en 2006. Je pense, personnellement, qu’il va falloir ralentir. Mais ce n’est pas la tendance actuelle. Et puis si nous décidons de nous arrêter, d’autres prendront la place. Et ils emploieront peut-être des méthodes moins scrupuleuses que les nôtres. 

RSEDN : Comment compensez-vous les émissions carbone ? 
AW :
Nous la proposons à nos clients mais elle n’est pas incluse dans nos produits. Sur ce sujet, les sensibilités ne sont pas toutes les mêmes dans l’entreprise. Cette compensation systématique n’est toujours pas mise en place.

RSEDN : Parvenez-vous à évangéliser en interne sur les question RSE ?
AW :
Nous sommes dans un rôle d’évangélisation permanent. Il faut agacer gentiment, positivement mais sans créer de rupture ni de tension, notamment avec les équipes en charge de la construction. C’est un secteur où les enjeux financiers sont élevés. Il existe toujours la crainte que les enjeux de RSE ne ralentissent et coûtent, alors que ce n’est pas tant le cas. Il nous faut être en empathie avec ces équipes soumises à de fortes pressions et en même temps entretenir avec eux un dialogue exigeant sur ces sujets complexes.

 

                                     Photo Club Med (DR).

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