Les entreprises à mission à la recherche de leur statut

Les entreprises n'appartiennent-elles vraiment qu'à leurs actionnaires ? Des organisations lucratives qui s'investissent d'une mission d'intérêt général, ce sont les mission-led companies, qui expérimentent business-models et statuts juridiques originaux. Décryptage à l'occasion de la conférence "Les entreprises à Mission" organisée par ... (en accès libre)
Des organisations lucratives qui s'investissent d'une mission d'intérêt général, ce sont les mission-led companies, qui expérimentent business-models et statuts juridiques originaux. Décryptage à l'occasion de la conférence "Les entreprises à Mission" organisée par le cabinet Prophil le 29 juin 2017 avec le soutien de KPMG et de Sycomore AM (rechercher leurs fonds ISR dans notre référentiel). " Les entreprises n'appartiennent-elles vraiment qu'à leurs actionnaires ? ", questionne d'emblée Genevière Ferone-Creuzet, fondatrice du cabinet avec Virginie Seghers. Conscientes de leur rôle sociétal, et de leur crédibilité au delà des discours marketing incantatoires vis à vis de l'ensemble de leurs stakeholders, des entreprises pionnères défrichent le terrain et tentent de sécuriser viabilité économique et notion de "bien commun".
L'entreprise piégée par le droit
Car le droit ne définit pas ce qu'est ou fait l'entreprise, explique Blanche Segrestin, professeur-chercheur en droit à l'Ecole des Mines - Paris-Tech. Si les activité de commerce et les droits de propriété des organisations sont bien couverts par la législation, des actions collectives comme "maîtriser une nouvelle technologie" ou "développer un nouveau médicament" ne sont pas protégés en soi et surtout ne sont pas opposables à des tiers. " Le droit actuel est indifférent à la mission de l'entreprise ", renchérit Stéphane Vernac, professeur de droit, qui rappelle que les articles 1832 et 1833 du Code civil français datent de ... 1804, et que l'objet social statutaire reste non contraignant. Au final, des projets d'entreprise au profit du bien commun sont même entachés d'un risque de suspicion vis à vis du public, puisque pouvant être perçus comme relevant d'une politique RSE discrétionnaire, souligne Mme Segrestin.
Seule la rentabilité est protégée en droit, comme en témoigne le concept anglo-saxon de responsabilité fiduciaire des organisations, orienté vers la satisfaction prioritaire d'exigences financières devant les actionnaires, plutôt que d'y intégrer des critères d'intérêt collectif. Les exemples sont légion, comme le cas Ford au début du siècle... ou plus récemment la cession de Ben&Jerry's à Unilever plutôt qu'à d'autres acquéreurs moins bien placés financièrement mais mieux disants sur le plan RSE. " Les entreprises n'ont plus d'actionnaires, seulement des détenteurs provisoires du capital ", déplore de son côté Henri Lachmann, l'emblématique ex-dirigeant de Schneider Electric, qui constate que pour créer de la valeur financière à court terme, les directions générales sont parfois amenées à mettre de côté des investissements jugés secondaires par les actionnaires comme la préservation de l'environnement ou la supply-chain. Et d'ajouter que les dirigeants d'entreprise se comportent comme ils sont mesurés (lire ci-dessous notre article "les critères RSE s'invitent dans les rémunérations des dirigeants").
Des expérimentations à travers le monde
En réaction au financiary duty, a émergé aux Etats-Unis en 2010 dans l'état du Maryland un statut de benefit corporation qui compte aujourd'hui environ 2000 entreprises essentiellement de taille moyenne, en prévoyant une double comptabilité à la fois financière et sociétale. Un statut qui a ensuite évolué en 2012 pour mieux s'adapter aux besoins des grosses corporations avec les Social Purpose Corporation (une soixantaine d'entreprises) qui inclut la définition d'une mission partagée avec les actionnaires et son reflet dans les actions des managers qui sont ainsi habilités par leurs conseils d'administration (benefit enforcement proceedings), et enfin la Public Benefit Corporation ou PBC (55 entreprises), qui ajoute à cela la revue par des tiers indépendants des critères d'évaluation extra-financiers choisis. Au final, des actionnaires engagés, et des managers protégés par un dispositif juridique ... qui devra cependant montrer qu'il peut résister à l'épreuve du feu de la jurisprudence américaine, encore vierge.
Une approche bien comprise par Danone, qui suite au rachat du fabricant américain de laits infantiles Whitewave, a incorporé une Public Benefit Corporation dans l'état du Delaware (pourtant peu réputé pour sa législation extra-financière). Une expérimentation pilote pour le groupe, indique Emmanuelle Wargon, Directrice générale des affaires publiques et de la communication, qui vise l'obtention du label B-Corp en 2020 pour les activités américaines de Danone. Le groupe agro-alimentaire envisage en effet d'essaimer une culture d'entreprise à mission dans l'ensemble de ses filiales (une dizaine ont déjà été évaluées), y compris dans son berceau européen où, même si la législation française et européenne en vigueur remplit déjà des exigences de base en matière d'énergie, de gestion des déchets, ..., elle reste mal adaptée aux organisations multinationales mondiales. Il faut maintenant " co-construire l'évolution de la réglementation et des labels européens ", insiste Mme Wargon.
En Europe, les choses avancent aussi. Précurseur, le Royaume-Uni qui compte déjà 70.000 entreprises sociales, dont 12.000 Community Interest Companies : un développement du secteur qui va de pair avec le désengagement de l'état du secteur social en faveur du privé ou de structures à financement mixte comme les social impact bonds. Un nouveau statut est d'ailleurs en préparation par le gouvernement britannique, pour sécuriser davantage des opérateurs de ce secteur évalué à 4,3% du PIB et 123.000 emplois. De son côté l'Italie a créé en 2016 les Società Benefit, une autre forme inspirée de la culture historique des PME familiales transalpines. Un statut inspiré des PBC américaines et soutenu là encore par le label B-Corp : 44 des 45 societa benefit italiennes sont en effet labellisées.
Des entrepreneurs français engagés
En France, même si les labels (ESUS, B-Corp) ne sont pas aussi développés, une forme d'entreprise Société à Objet Social Etendu (SOSE) pourrait voir le jour. En attendant, un terreau historique mutualiste et coopératif permet l'émergence d'entreprises porteuses de projets d'intérêt général grâce à des entrepreneurs engagés. " Attention à ne pas définir l'entreprise comme un objet théorique avant même qu'elle n'existe ", revendique Jean-Marc Borello, patron du groupe SOS, qui demande aux pouvoir publics de ne pas légiférer à priori mais plutôt de se positionner en fonction des résultats obtenus. Une approche très pragmatique illustrée par la croissance du groupe SOS (22% de croissance annuelle pour 1 Md€ de CA) qui, avec sa gouvernance associative originale, vient sérieusement concurrencer des opérateurs comme Babilou, Domus ou la Générale de Santé dans l'action sociale. D'autrs sociétés ne sont pas en reste : pour Isabelle Lescanne, directrice générale des laboratoires Nutriset, " si l'actionnariat familial permet déjà de 'faire des écarts' pour expérimenter, la SOSE permettrait de sanctuariser les missions de l'entreprise lors de sa transmission ". De son côté, la CAMIF met l'accent sur la coopération avec les territoires : après sa reprise par Emery Jacquillat avec le fonds d'investissement à impact Citizen Capital, et malgré l'abandon du statut coopératif, l'entreprise a travaillé avec son berceau historique de Niort pour recruter 184 anciens salariés, indique le dirigeant, qui développe en parallèle un système de préférence nationale avec ses fournisseurs de meubles ou de literie : une logistique de proximité qui permet d'économiser 75% d'émissions de GES sur les transports. M. Jacquillat envisage maintenant d'étendre le système du choix du fabricant à ses clients, grâce à une nouvelle plateforme d'e-commerce. Des initiatives à suivre, qui ont toutes pour point commun d'avoir mis en place des structures indépendantes, qui informent régulièrement leurs assemblées générales sur l'avancement de leurs missions extra-financières.
L'étude est en vente sur le site de Prophil (PDF, 96 pages, 50€) - lien ci-dessous
INTERVENANTS
>Voir la fiche détaillée de l’opération Certification - CAMIF MATELSOM - B-CorpSociété Cible | CAMIF MATELSOM |
LIENS DE L’ARTICLE
site web: Etude Prophil 2017 "les entreprises à mission": http://www.entreprisesamission.eu/
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