Les cygnes noirs au secours de l'inclusion du risque climat

Au delà du triste bilan humain, l'ouragan Harvey qui a dévasté le "couloir de la chimie" américain est une démonstration à grande échelle de la nécessité d'intégrer le risque climat. Un risque climat qui frappe aussi aux portes de l'Europe en cette rentrée placée sous le signe du dialogue social et des ODD ... (en accès libre)
Au delà du triste bilan humain, l'ouragan Harvey qui a dévasté le "couloir de la chimie" américain est une démonstration à grande échelle de la réalité du risque climat - n'en déplaise aux climatosceptiques et au président Trump qui a notifié début août dernier à l'ONU sa décision de sortir des accords de Paris dès que possible, c'est à dire ... pas avant novembre 2019. Après Katrina qui avait frappé en 2005 les populations défavorisées de la Nouvelle-Orléans, c'est en effet les industries pétrolières et chimiques de la côte texane qui ont été désorganisées par Harvey, dont le coût total avoisinerait les 140 Md$ dont 20 Md$ pour les entreprises elles-mêmes, y compris une usine du français Arkema détruite par des explosions. 37% de la production de chlore et 40% de l'éthylène sont hors service, au prix aussi de fuites massives de produits chimiques nocifs dans l'environnement, dont le coût des atteintes n'est pas encore chiffré. Ce qui est certain, c'est le peu d'impact dans l'immédiat sur le cours de bourse des entreprises touchées qui ont activé leurs mécanismes de couverture et en raison de craintes de pénuries tirant les prix de vente à la hausse et de spéculation sur les derivatives. Du pétrole brut et des produits chimiques sont importés d'urgence en Europe par des brokers : une logique de profitabilité à court terme.
De leur côté, les compagnies d'assurance accusent le coup financier, et s'inquiètent de la faiblesse du National Flood Insurance Program (le mécanisme de "Cat'Nat" américain) dont les fonds sont au plus bas depuis Katrina et Sandy, qui paie 400M€ de dollars d'intérêts par an sur sa dette de 25Md$ au trésor américain, et dont l'avenir sera réexaminé cet automne par le congrès. 400 M$ par an qui pourraient être mieux utilisés pour des mesures de prévention des populations et infrastructures, dans un monde qui pourrait bientôt devenir "inassurable" - selon le PDG d'AXA - si la trajectoire 2 degrés n'est pas tenue.
Il est moins certain que les cours de bourse tiennent la route à moyen terme à mesure que les coûts et délais de remise en état opérationnelle seront connus, sans compter les dommages réputationnels et les infrastructures publiques qui devront être reconstruites. A l'identique ? C'est tout l'enjeu du débat. Car les "cygnes noirs" - ces événements exceptionnels qui ont une portée dévastatrice et qui sont avant survenance financièrement sous-évalués - reviendront plus nombreux autour du golfe du Mexique et ailleurs : en même temps qu'Harvey survenaient des inondations moins médiatisées mais catastrophiques à Bombay, et qui deviennent chroniques au Népal, Bangladesh, Yémen ou Niger. Investisseurs et analystes financiers voudront plus que jamais savoir maintenant comment les entreprises mitigeront ces risques dans le futur et le refléter dans leurs évaluations actuelles. En tous cas les attitudes de déni de la part des entreprises sont de plus en plus attaquées par leurs stakeholders - fait intéressant, souvent sur des bases légales de "fraude" -, comme le pétrolier Exxon mais aussi un assureur australien (lire notre article ci-dessous), et le charbonnier américain Peabody Energy Corp, mis devant la justice avec (toujours) Exxon, Chevron et Arch Coal par 3 comtés de la côte ouest des Etats-Unis, au motif que leurs émissions de GES ont contribué au réchauffement climatique et que la submersion menace leurs populations côtières. Et l'Europe ne sera pas épargnée, selon une étude de l'OCDE (ci-dessous).
C'est en tous cas le symptôme que le risque climat n'est pas encore vraiment intégré financièrement dans le risque de marché sur les places financières mondiales - et que les recommandations de la Task Force for Financial Disclosure (TCFD) ont encore du chemin à faire (lire nos articles ci-dessous). Signe des temps cependant, les agences de notation extra-financières - à commencer par l'incontournable Carbon Disclosure Project (CDP) - font évoluer leurs questionnaires pour s'aligner sur la TCFD et pour permettre un meilleur benchmarking sectoriel (lire aussi ci-dessous). Le mouvement est en marche.
C'est une rentrée des classes sous le signe du dialogue pour les entreprises, les investisseurs, et leurs conseils. Dialogue social tout d'abord, avec la réforme par ordonnance du droit du travail français, qui laissera une large place à la négociation plutôt qu'à l'inflation réglementaire - dans l'esprit des lois Auroux de ... 1982. Dans ces discussions, la dimension RSE devra trouver toute sa place car il y va de la crédibilité des pratiques des branches professionnelles et des entreprises vis à vis de leurs salariés et des syndicats. Dialogue autour des Objectifs de Développement Durable (UN-ODD), autour desquels - au delà de l'inévitable tableau de correspondance entre objectifs RSE - ODD dans les rapports extra-financiers, réflexions et pratiques se développent comme on le verra sans doute au Forum Convergences dès ce lundi 4 septembre qui sera placé sous ce thème pour ses 10 ans, ou de la présentation jeudi 7 septembre du Forum Politique de Haut Niveau sur les ODD par le Comité 21. Au fond, c'est de plus en plus d'une responsabilité politique de l'entrepreneur dont il s'agit, pour que les acteurs non-étatiques co-construisent leur environnement sans attendre les régulateurs (voir ci-dessous l'ouvrage de Patrick d'Humières) : la durabilité de l'entreprise passe par sa santé économique mais aussi par la façon dont elle opère, et si les 17 Objectifs de développement durable (ODD) sont devenus autant d'enjeux systémiques à l'échelle du monde, ce sont autant d'externalités qui s'accumulent et doivent être traitées dans la co-construction d'un nouvel ordre plutôt que d'être passées en pertes et profil dans les comptes de résultats.