Les critères RSE s'invitent dans les rémunérations des dirigeants

La rémunération des dirigeants d'entreprise dépend de plus en plus de critères RSE - ESG, selon une étude - guide réalisée par l'ORSE et PWC. Retours d'expérience et témoignage de dirigeants, investisseurs et administrateurs sur la situation et les pratiques des entreprises cotées ... (en accès libre)
La rémunération des dirigeants d'entreprise dépend de plus en plus de critères RSE - ESG, selon la deuxième édition d'une étude réalisée par l'ORSE et PWC. Depuis la première étude en 2012, la part des entreprises cotées ayant mis en place une rémunération de leurs dirigeants qui dépend d'au moins un critère RSE est passé de 10% à 76%. Une évolution sur cette période voulue tout d'abord par le législateur qui a mis en place une réglementation contraignante avec la récente loi Sapin II - qui va plus loin que les simples obligations de reporting prévus par la loi Grenelle II ou le code de gouvernance Afep-MEDEF de 2013 qui prévoyait un vote consultatif des actionnaires.
Parallèlement, les attentes des investisseurs se son renforcées avec l'article 173 de la LTECV qui prévoit un reporting des sociétés elles-mêmes mais aussi des portefeuilles de leurs investisseurs. Enfin, les pratiques des sociétées ont évoluées, notamment avec l'introduction de critères RSE dans les accords d'intéressement / participation des salariés. Selon Sylvain Lambert, associé de PWC, l'"arrivée effective des critères ESG dans la rémunération des dirigeants est un marqueur de la maturité des entreprises". Et le mouvement s'élargit maintenant à l'Europe avec la directive UE 2017/828 sur les droits des actionnaires, qui instaure à l’échelle européenne un système de « say on pay » et de contrôle des conventions réglementées.
Un marqueur de maturité
L'entrée en vigueur du say on pay prévu par la loi Sapin II (loi 2016-1691 - Art 161, et décret 2017-340) marque l'année 2017 comme un tournant. Si le code de conduite Afep / MEDEF (et son organe de contrôle le HCGE) relevait de la soft-law en prévoyant un vote non contraignant et à posteriori - mais pour l'ensemble des sociétés cotées -, la loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique oblige à partir de 2018 à un double vote ex-ante et ex-post contraignant, du moins pour les entreprises de forme juridique "société anonyme" et cotées sur Euronext. Ce tournant "renforce le rôle des conseils d'administration comme contre-pouvoir de l'exécutif", indique Pascal Durand-Barthez, secrétaire général du HCGE, qui précise que la révision en 2016 du code Afep-MEDEF prévoit d'une part l'information préalable des administrateurs sur les indicateurs et actions RSE de l'entreprise, et d'autre part que les rémunérations des dirigeants peuvent inclure des critères quantifiables qui, s'ils ne sont pas nécessairement financiers, doivent être quantifiables, surtout dans le cas de rémunération pluri-annuelles. Facteur intéressant : les conseils d'administration proches de la parité homme-femmes sont les plus en pointe, une reconnaissance d'un rôle plus moteur des femmes sur les leviers d'actions RSE, qui devrait s'améliorer avec les effets dans le temps de la loi Copé - Zimmermann. Un facteur confirmé par Michel de Fabiani, président du club rémunérations de l'IFA et administrateur : les paramètres financiers soumis aux conseils d'administration sont déjà très sécurisés en amont car revus et audités, "la valeur ajoutée d'un administrateur va donc naturellement se situer davantage sur l'extra-financier, et les risques liés comme la corruption, la supply-chain, ou les conditions de travail".
Si cette démarche concerne en premier lieu les dirigeants madataires sociaux, elle s'étend progressivement aux cadres dirigeants (52% des entreprises) voire aux managers (41%). Si 88% des entreprises ont déjà inclus un critère RSE unique dans les variables - surtout dans le but (36% des cas) de réaliser un focus sur un axe-clé de la stratégie RSE ou d'améliorer leur performance extra-financière (14%), nombre d'entre elles réfléchit déjà à l'intégration de plusieurs critères, voire à leur combinaison sous forme d'indexes. En effet, explique Gérard Mardinié, secrétaire national RSE & DD de la CFE-CGC, attention aux effiets de bord : si injecter quelques critères RSE dans les rémunérations variables est une bonne chose, des critères isolés ne doivent pas conduire à "ce qu'un manager dissimule des incidents pour ne pas impacter négativement ses objectifs RSE". Et sur les accords d'intéressement et de participation, il y a encore de la marge : car exemple 10000 salariés sur 80000 sont concernés aujourd'hui dans les différentes entités du Crédit Agricole, et l'objectif est de tendre vers les 100%.
Des index composites intégrés au business
Le groupe la Poste a suivi ce chemin étape par étape : en 2009, des critères RSE ont été indtroduits progressivement dans les accords d'intéressement des différentes entités du groupe. En 2012, la part variable des rémunérations individuelles a suivi, puis la part variable collective, avec des critères isolés comme la note QVT, le taux d'accidents du travail, les émissions de GES, le chiffre d'affaires des produits "verts" (gamme Recygo), sélectionnés selon leur pertinence par rapport aux sept métiers du groupe. En 2016, un "index composite RSE qui reflète la notation extra-financière du groupe" a été mis en place pour la part variable collective, indique Christine Bargain, directrice RSE du Groupe. Cet index agrège les notations quantitatives extrafinancières d'Oekom et de Vigeo, celle d'Ecovadis pour les stakeholders, et celle du Carbon Disclosure Project (CDP) pour les émissions de GES des transports, des bâtiments et du numérique, dont l'empreinte carbone devient réelle.
Une démarche similaire chez AXA, où 10% du variable long terme de 7000 managers dans le monde est indexé sur le Dow Jones Sustainability Index (DJSI), une référence externe indiscutable choisie en plus de la métrique interne "Axa Sustainability Index", explique Sylvain Vanston, ESG Integration Manager. De plus, un système de percentile ranking a été mis en place pour pallier à d'éventuels remaniements du DJSI qu'Axa ne contrôle pas et éviter ainsi des variations intempestives des bonus. En outre, le process interne prévoit une validation successive des plans de rémunération par les équipes RH "Compensation & Benefits", puis par le comité d'audit du groupe, avant d'être portées devant l'assemblée générale.
De son côté, le Crédit Agricole SA utilise aussi un index composite appelé FRED, qui pèse pour un tiers des variables des dirigeants - les deux autres tiers étant le cours de bourse et le résultat net. L'indicateur FRED - qui fait école dans d'autres organisations - agrège l'impact de 200 actions RSE internes, explique Jérôme Courcier, responsable RSE, qui souligne également non sans humour que les premières réactions à la mise en place de FRED avaient été... de ne pas financiariser les actions RSE au sein d'une banque dont le métier de financier est de quantifier tout le reste.
Inclure des critères de notation externe
Une évolution partagée par d'autres groupes : BNP Paribas a également instauré un système de bonus qui impacte jusqu'à 20% du variable de 5000 managers dans le monde, basé sur 9 des 12 indicateurs de la politique RSE du groupe déjà formalisée. Un système pluri-annuel sur 3 ans qui doit assurer l'atteinte de 6 de ces 9 objectifs. "Il était devenu nécessaire de revoir le système, car les stock-options et les actions gratuites n'étaient plus très motivants au regard de certaines rémunérations excessives", explique Emmanuelle Scelles, responsable RSE aux ressources humaines du groupe. Un plan arrivé à son terme avec succès, grâce à l'installation d'une "maison RSE" au sein des RH du groupe, un hub permettant d'expliquer la démarche aux collaborateurs concernés... et de leur rappeler les objectifs initiaux par rapport aux résultats obtenus.
Mais ces pionniers veulent porter la démarche au coeur du business : "in fine, ce sont les managers qui doivent expliquer à leurs collaborateurs pourquoi leur variable change, ils doivent disposer d'un lever d'action pour adapter les critères à leur activité car ils sont très sensibles aux aspects budget et P&L", indique Christine Bargain. Un constat partagé par Emmanuelle Scelles qui précise que l'objectif pour le groupe BNP est maintenant de construire un système de rémunération variable qui "reflète la performance business du groupe sur la part dans le chiffre d'affaires total représentée par les financements accordés aux projets verts des entreprises clientes ou des investissements contribuant aux ODD".
Pousser les critères ESG
Du côté du private equity, Marc Guyot, en charge de l'ESG chez LBO France et membre de la commission ESG de l'AFIC, explique que la plupart des investisseurs mainstream ne formulent pas encore d'exigences sur les rémunérations des managers des participations, mais que des due diligences ESG poussées sont effectuées avant toute décision d'investissement (les choses évoluent plus vite du côté des fonds d'impact investing, tant dans leurs participations que sur le carried interest - ndlr). Une pratique nuancée par Marie Luchet, nouvellement en charge de la représentation française des Principles pour Responsible Investment (PRI), pour qui "les investisseurs doivent jouer leur rôle en votant des rémunérations qui intègrent des critères ESG". Nicolas Blanc, directeur adjoint de la stratégie à la CDC, explique fonctionner par "lettre d'objectifs" pour chaque entité de la Caisse : les gérants ISR auront jusqu'à 10% de leur bonus indexé sur la performance de ce segment, tandis que pour les directeurs de participations, on mesure les indicateurs ESG pris en compte par les comités d'investissement, l'engagement climat des sociétés en portefeuille et un "guide de vote aux assemblées générales a été formalisé".
Du côté des marchés financiers, si les questions fusent sur le risque climat lors des roadshows avec des investisseurs mainstream, la questions de l'alignement des rémunérations avec la RSE est encore peu soulevée, soulignent Jérôme Courcier et Sylvain Vanston. En revanche, cette question suscite un fort intérêt lors des roadshows dédiés aux investisseurs ISR.
L'étude 2017 "Critères RSE et rémunération - guide sur l'intégration de critères RSE dans la rémunération variable des dirigeants et managers" a été réalisé par l'ORSE et PWC à partir d'un échantillon de 40 sociétés du CAC 40, et détaille les pratiques détaillées de 9 entreprises cotées françaises et 9 entreprises étrangères. Il comporte un guide des bonnes pratiques et clés de succès pour l'implémentation de rémunérations variables selon des critères RSE, et est disponible en téléchargement sur les sites web de l'ORSE et de PWC (liens ci-dessous, PDF, 74 pages, + l'étude 2012) |
LIENS DE L’ARTICLE
site web: ORSE - Etude 2017 "Critères RSE et rémunération (site web): http://www.orse.org/nos-publications/guide-sur-l-integration-de-criteres-rse-dans-la-remuneration-variable-des-dirigeants-et-managers
site web: PWC - Etude 2017 "Critères RSE et rémunération (site web): http://www.pwc.fr/fr/publications/dirigeants-et-administrateurs/integration-de-criteres-extra-financiers.html
site web: ORSE - Etude 2012 "Critères RSE et rémunération (site web): http://www.orse.org/nos-publications/comment-integrer-des-criteres-rse-dans-la-remuneration-variable-des-dirigeants-et-managers