L'égalité hommes-femmes, un critère d'éthique et de compétitivité pour les entreprises

Au delà des réglementations, le "gender equality" devient un véritable axe d'engagement pour les sociétés qui sauront mieux intégrer le potentiel des femmes en co-construisant avec ... les hommes. Retour sur la table ronde du 10ème Forum Convergences avec les témoignages de Suez, Paprec, Generali, Aequiso et le ministère des ... (en accès libre)
Au delà de la réglementation, le "gender equality" devient un véritable axe d'engagement pour les sociétés qui sauront mieux intégrer le potentiel des femmes en co-construisant avec ... les hommes. Retour sur la table ronde "Gender Equality, quelles nouvelles alliances" lors du 10ème Forum Convergences, animée pour le Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D) par Hélène Valade (directrice du Développement durable de Suez, présidente de la Plateforme RSE et vice-présidente du C3D), avec les témoignages de Fanny Benedetti (Ministère des affaires étrangères), Corinne Hirsch (fondatrice du cabinet Aequiso), François Garreau (chargé de la RSE auprès du Comex de Generali) et Sébastien Ricard (Directeur développement durable de Paprec) - (retrouvez leurs parcours dans nos fiches ci-dessous).
Le bilan mondial de la situation des femmes est accablant. Constituant naturellement 50% de l'humanité, elles effectuent les deux tiers du temps de travail - rémunéré ou non - soit 26% du PIB, mais ne bénéficient que de 10% du revenu et ne concentrent que 1% de la propriété mondiale. Toujours à l'échelle de la planète, outre les violences dont elles subissent davantage les conséquences que les hommes, elles sont 14 fois plus touchées par les effets du changement climatique : accès à l'eau, la nourriture, épidémies, conséquences de catastrophes naturelles, ... "Le conservatisme sur le climat, c'est aussi le conservatisme envers les femmes", résume Corinne Hisch. Si la gouvernance mondiale, à travers l'Objectif de développement durable (ODD) #5 pousse à corriger ces écarts, l'ODD #17 implique que société civile, gouvernements et entreprises se mobilisent pour accélérer la tendance : au rythme actuel, selon les projections du Word Economic Forum de Davos, ce n'est pas avant l'année... 2186 que la parité économique entre hommes et femmes serait atteinte.
Des processus internes vigilants ...
En entreprise, poussés par la réglementation, les conseils d'administration se féminisent peu à peu : de 8,7% de femmes en 2007, on constate qu'elles sont 35% en 2016, mais les comités exécutifs et les cadres supérieurs sont à la peine en raison d'un "plafond de verre" toujours bien présent. Pourtant la réglementation existe (loi Copé-Zimmermann de 2011, puis loi de 2014 sur l'égalité salariale) mais est bien mal respectée, malgré un durcissement des contrôles et sanctions depuis l'été 2017, voire un name and shame récent de la secrétariat d'Etat à l'égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa. Pourtant, "en France, le sujet n'est pas de faire une loi de plus", indique Corinne Hirsh, "car il persiste une culture défavorable. L'engagement des directions générales est essentiel". Par exemple pour revoir les processus RH en matière d'embauche, de formation, d'évaluation, de promotion et de rémunération. "Idéalement, un collaborateur qui est bon dans son métier avance indépendamment de son sexe", indique Sébastien Ricard, qui ajoute qu' "il ne faut pas nier les différences, mais les piloter objectivement", par exemple en mesurant le taux de promotions à parité, à niveau hiérarchique égal. Des points de vigilance importants dans une entreprise comme Paprec, qui opère dans une industrie peu féminisée : sur les 5500 collaborateurs travaillant dans le recyclage, un tiers sont des chauffeurs de poids-lourds, dont ... 18 femmes - (dont la conduite est moins accidentogène). Paprec peine aussi à recruter dans certains métiers en tension, comme technicien de maintenance. "Ne pas s'occuper de gender-equality, c'est se pénaliser pour attirer des talents", renchérit Corinne Hirsch. Autre exemple, dans une entreprise tertiaire comme Generali qui compte une grande majorité de "cols-blancs", une politique de promotion 50-50 a été mise en place avec le management qui est évalué sur ce critère, et il existe un "budget de rattrapage" des écarts salariaux entre hommes et femmes qui est utilisé au fur et à mesure de l'avancement de ces dernières, précise François Garreau, qui ajoute que "pour nos cadres, nous atteignons maintenant la parité". Des efforts que les entreprises doivent communiquer aussi à l'extérieur, comme Generali qui utilise l'algorithme de l'observatoire Skema pour la féminisation des entreprises, et qui a lancé en 2011 l'Observatoire des Femmes et de l'assurance en partenariat avec un institut de sondage indépendant. Une communication externe qui reste cependant un difficile exercice d'équilibre selon les témoins de cette table ronde, car il s'agit de trouver des éléments objectifs et une tonalité qui correspondent aussi au ressenti des collaborateurs internes. Nombre d'entreprises font davantage qu'elles ne communiquent, par exemple par crainte d'être taxées de gender-washing par des observateurs extérieurs, ou de démotiver la part masculine de leurs effectifs. "Lorsqu'on publie une feuille de route avec des objectifs, il faut aussi être transparent lorsqu'un objectif n'est pas atteint, le dire et l'expliquer", rappelle Hélène Valade.
... et une chaîne de management impliquée
Si l'exemple vient d'en haut, et quels que soient les process mis en place, il faut avant tout sensibiliser et impliquer le management à tous les étages, insistent les participants. L'encadrement doit savoir détecter des facteurs culturels auto-limitants bien identifiés comme le syndrome de la "bonne élève" qui, s'il elle est sérieuse et appliquée dans son travail, recevra naturellement reconnaissance et avancement - alors que les hommes ont moins de complexes à revendiquer, ou des excès comme un sur-investissement ("workaholic" ou "présentéisme") : loin de la caricature, il s'agit là de veiller à la mise en oeuvre de bons réflexes managériaux. Mais aussi parfois prendre en compte des "ambiances" trop masculines au sein des équipes dans des métiers peu féminisés. Le mentoring et le coaching sont également des facteurs d'atténuation, particulièrement au moment d'une prise de poste - y compris avant l'entrée en fonction, tout comme la mobilité afin d'éviter l'enfermement dans un métier ou un département de l'entreprise.
Inventer de nouvelles alliances
Une chose est sûre : "des mesures d'affirmative action ne sont pas la solution, car ce serait faire porter uniquement par les femmes le poids du rattrapage", revendique Corinne Hirsch. Au contraire, c'est avec les hommes qu'il faut "faire alliance" pour co-construire l'égalité hommes-femmes - le sujet est d'ailleurs parfois porté par des hommes, comme chez Worldline (à lire dans un prochain article). Et les entreprises inventent de nouvelles manières de la projeter dans le monde extérieur : l'émission d'une obligation verte par Paprec qui inclut un critère d'égalité dans les projets financés, des critères d'Investissement socialement responsable (ISR) pour les activités de gestion d'actifs de Generali (qui a mesuré que les entreprises dirigées par des femmes ont des performances financières de 15 à 25% meilleures), mais aussi l'action des fonds et fondations d'entreprise, qui sont autant de foyer de mécénat de compétences.
Des alliances a former aussi au niveau interprofessionnel, plusieurs grands opérateurs du traitement des déchets y réfléchissant activement. Et le gouvernement peut jouer un rôle, non réglementaire cette fois : la nouvelle feuille de route de la stratégie gouvernementale sur l'égalité homme-femmes est en cours de renouvellement, indique Fanny Benedetti, en charge des "gender and social affairs" au Ministère des affaires étrangères, soulignant au passage l'initiative Women Empowerment Principles (WEP) des Nations Unies, qui rassemble à ce jour 1510 entreprises dont 44 françaises et propose un outil d'évaluation "gender gap". De son côté, France Stratégies a évalué le coût pour l'économie française des discriminations à l’emploi, qui pourrait représenter en fonction des scénarios modélisés jusqu'à 14% du PIB français (lire notre article ci-dessous). Le Ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes a publié sa brochure de chiffres clés Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes – l’Essentiel , en collaboration avec le Défenseur des droits de la République (notre article ci-dessous).
D'autres actions supra-nationales existent : sur les projets soutenus par l'Agence Française de Développement (AFD), une notation de l'OCDE recense que 50% des actions incluent ou ont pour objectif principal l'égalité des genres - pour 17% seulement des montants, cependant. Une action internationale qui est de plus en plus efficacement relayée localement par des entreprises globalisées au travers de leurs opérations locales (lire notre article ci-dessous sur les bonnes pratiques du devoir de vigilance).
Crédit photo : (c) Raphael de Bengy