Leclerc 100 % bio : une ambition au défi de la réalité

Sophie Chauliac | 29 Janvier 2018 | 1356 mots

bio legumes

10 ans après avoir lancé "Bio Village", sa propre marque Bio, Leclerc a ouvert ce mois-ci sa première enseigne 100% bio près de Dijon. Cette ouverture est la première d’un plan d’envergure qui prévoit la constitution d’un parc de 200 magasins et s’inscrit dans une tendance de fond du secteur français de la grande distribution. Quels sont les grands enjeux de cette vague de démocratisation du bio, dans un contexte où la production peine à faire face à la demande ? Analyse (en accès libre).

Après Casino (via sa filiale Naturalia rachetée en 2008), Carrefour (en 2013), ou encore Auchan (Cœur de Nature en 2012 puis Auchan Bio fin 2017), c’est au tour d'E. Leclerc de se lancer sur le marché de la distribution 100% bio. Le premier magasin Leclerc Bio a ouvert mi janvier à Fontaine-lès-Dijon en Côte d’Or, proposant 6 000 références sur 400 m2. D’après le magazine Linéaires - référent dans le secteur de la distribution alimentaire - la stratégie du groupe sur ce segment spécialisé est très ambitieuse, avec un objectif de 200 magasins de 400 à 800 m2, qui pourraient porter le nom de "Village Bio".

Entre 2010 et 2016, les ventes de produits bios alimentaires en France ont doublé. Le chiffre d’affaires annuel dépasse désormais les 7 milliards d’euros, dont 95% est attribué à la consommation des ménages. Le réseau commercial est constitué de plus de 4.000 distributeurs et dominé par les Grandes et Moyennes Surfaces (GMS). Elles détiennent la plus grande part de marché (45%, le leader étant Carrefour) et sont suivies par la distribution spécialisée (en réseau ou indépendante) avec 37%. La vente directe et les artisans-commerçants ne représentent respectivement que 13% et 5%.

Le marché est porté par une forte demande de la part des consommateurs. Elle incite les géants de la grande distribution à se positionner sur le segment du bio en étoffant l’offre en rayons, en développant des marques propres - Carrefour Bio dès 1997 (800 références en alimentaire), Auchan Bio en 2006 (400 références) ou encore Bio Village de Leclerc en 2008 (360 références, sans compter la marque non alimentaire Bio Naïa) - et, plus récemment, en se lançant dans la distribution 100% bio. Les ouvertures de magasins se multiplient, tout comme les annonces de rachats à l'instar de celui du pure player Greenweez par Carrefour en 2016.

Vers un bio à deux vitesses ?

Face à l’accélération du développement des réseaux de distribution, les producteurs s’interrogent. Stéphanie Pageot, Présidente de la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique des Régions (FNAB), qui représente et accompagne 10.000 producteurs de bio, explique : "C’est à la fois intéressant parce que cela signifie que le bio va se développer, mais la vitesse à laquelle les distributeurs veulent avancer nous inquiète. Nous n’avons pas la production suffisante pour cela ". Aujourd’hui, la production de bio alimentaire en France (32 000 producteurs et 7% des exploitations) peine à répondre à la demande sur certaines filières. D’où le recours à l’importation, qui permet également de jouer sur les prix. En 2016, 30% des produits bio consommés sur notre territoire ont été importés -notamment des fruits, légumes ou produits d’épicerie- et le nombre d’importateurs (220) a augmenté de 40% par rapport à 2015. Près de 60% des importations concernent des produits dont la production nationale est inférieure à la demande, le reste correspondant à des produits que la France ne produit pas ou très peu.

Pour Stéphanie Pageot, il est clair qu’il faut "amplifier les conversions". Toutefois, cette solution n’apporte une réponse qu’à moyen terme, puisque les transitions sont longues : "On estime en général que 4 ou 5 ans sont nécessaires pour faire évoluer les pratiques". Ces transitions peuvent également être difficiles. En Septembre 2017, l’annonce du Ministre de l’Agriculture Stéphane Travert du désengagement de l’État des aides au maintien (gérées conjointement avec les régions, qui pourront décider de continuer à les financer) pour se recentrer sur les aides à la conversion a déclenché la colère des producteurs bios. Selon la FNAB, les aides à la conversion seraient également menacées. Elle estime par ailleurs que l’objectif du Ministre (8% de la Surface Agricole Utile cultivée en bio en 2020, contre 6.5% aujourd’hui) est trop peu ambitieux. la FNAB souhaite atteindre les 20%.

En décembre 2017, Michel-Edouard Leclerc pointait du doigt la structure même de la production bio en France : ‘c’est parce que nos exploitations bio sont trop atomisées, trop disséminées au milieu d’une agriculture industrialisée que la France peine à sécuriser ses labels et à répondre suffisamment à l’augmentation de la demande... avec le risque d’être vite concurrencée par l’import’. Une vision bien différente de celle de Stéphanie Pageot, qui s’inquiète : ‘‘les distributeurs vont vouloir concentrer la production sur un seul endroit, pour des questions logistiques et de maîtrise des coûts. Or nous, nous souhaitons développer le bio sur tout le territoire. Ce que nous ne voulons pas, c’est faire de la bio comme si nous faisions de l’agriculture conventionnelle".

Un bio de qualité accessible à tous, vraiment ?

L’ambition affichée de Michel-Edouard Leclerc : démocratiser le bio. Sur son blog, il affirme : "Le bio c’est bon ? C’est plus sain ? Alors, il faut qu’il soit accessible en nombre, en qualité et en prix". C’est d’ailleurs le positionnement de la marque Bio Village, qui revendique des références environ 30% moins chères que celles des marques nationales équivalentes. L’accent est également mis sur la production locale : "près de 85% des produits Bio Village sont fabriqués en France, majoritairement par des PME", indique l’enseigne. Reste à connaître la provenance des matières premières utilisées dans le processus de production, puisque le caractère "biologique" peut varier d’un pays à l’autre, même au sein de l’Union Européenne, tout comme les conditions de travail. Il est à noter que parmi les produits bio importés par la France, la moitié provient de l’Union Européenne.

Depuis 2009, le label bio européen garantit que l’aliment est composé d’au moins 95% d’ingrédients issus d’un mode de production biologique, ainsi que l’absence d’OGM dans la limite de 0.9%. Les critiques sur ce label sont nombreuses : tolérance de la présence fortuite d’OGM, mention vague de la provenance de la matière première ("UE" ou "non-UE"), interprétations différentes du cahier des charges selon les pays, contrôles plus ou moins répétés ou sérieux, autorisation des cultures hors-sols, ou encore développement du "bio industriel" pour réaliser des économies d’échelles. En ce qui concerne les importations de produits "bios" non UE, certains dénoncent des accords d’équivalence pas si équivalents, et des fraudes de la part de certains pays, sans compter l’empreinte écologique du transport.

Bio engagé vs bio commun

Après 4 ans de négociation, une nouvelle réglementation a été adoptée par l’Union Européenne en novembre 2017 et sera mise en place à partir de 2021. Si elle devrait permettre une qualité plus homogène ou encore la fin de la production hors-sol, il s’agit pour certains d’une réforme à la baisse. La possibilité de conserver une mixité bio/non-bio sur les exploitations, un allègement des contrôles ou encore l’autorisation de certains adjuvants potentiellement toxiques sont mis en cause. La FNAB, qui avait participé à l’émergence du label Bio Cohérence en 2010 (100% de matière bio et aucune présence d’OGM), estime qu’il faut aller plus loin, notamment au niveau de l’autonomie des fermes et de la taille des élevages.

Sur la question de l’exigence des labels, Michel-Edouard Leclerc affirme "soutenir la proposition d’un label "bio plus", "bio engagé", proposé par la FNAB […] J’y vois une possibilité de différenciation et un vecteur de qualité. Si les circuits pionniers veulent préserver leur réseau pour ajouter plus de valeur à leur engagement (équitable, social, écologique) je n’ai pas d’opposition de principe […] Cependant une telle initiative ne doit pas, pour autant, contribuer à dévaloriser le bio "commun".

Le GALEC (Groupement d'achats des centres E. Leclerc), la centrale d’achats de Leclerc, se réunit cette semaine, comme tous les ans, à Ivry-Sur-Seine. La FNAB a également fait part d’une rencontre avec Leclerc dans les prochains jours, à l’initiative de l’enseigne.

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