Le calcul des émissions évitées valorise la stratégie des entreprises

Yann Ulliac | 13 Septembre 2017 | 1339 mots

EPE ENTREPRISES-POUR-L-ENVIRONNEMENT

L’association Entreprises pour l’Environnement (EpE) publie son rapport "Emissions évitées  - Les entreprises évaluent leurs solutions pour le climat". Alors qu’il n’existe pas de cadre normatif pour déterminer le bénéfice climat des stratégies bas-carbone, dont l'évaluation va au-delà du contenu attendu dans le reporting extra-financier ... (en accès libre)

A l'occasion du Forum Convergences de Paris le 5 septembre 2016, L’association Entreprises pour l’Environnement (EpE) a publié son rapport "Emissions évitées  - Les entreprises évaluent leurs solutions pour le climat". 
Alors qu’il n’existe pas de cadre normatif général pour déterminer les émissions évitées de gaz à effet de serre (GES), dont l'évaluation va au-delà du contenu attendu dans le reporting extra-financier, cette publication propose une approche rigoureuse et cohérente pour  des entreprises souhaitant valoriser leurs solutions bas-carbone, c’est-à-dire d’éviter des émissions de gaz à effet de serre par rapport à des solutions plus classiques. Le document (lien ci-dessous) explicite le méthodologie, formalisme et recommandations, issues du retour d’expérience de grandes entreprises de l’industrie et des services. 

La difficile évaluation des émissions évitées

A l’heure actuelle, si la réglementation du reporting extra-financier prévoit l'évaluation des émissions "brutes" de GES, il n’existe pas de cadre normatif pour déterminer les émissions évitées qui soit de surcroît valable pour tous les secteurs d’activité. de plus, bilans d'émissions de GES et calcul d'émissions évitées sont deux notions souvent confondues, ces dernières concernant spécifiquement l'avantage procuré par la mise en oeuvre de solutions bas-carbone par rapport à un scénario dans lequel elles n'auraient pas été implémentées, plutôt qu'un recensement de l'ensemble des émissions de l'entreprise sur une période donnée (logiques de "réduction" ou d'"évitement"). 
Deux types de référentiels existent. D’un côté, les standards « projets » s’appliquent à de nombreux secteurs pour évaluer des émissions évitées par des projets ou des émissions identifiées. D’un autre côté, les standards sectoriels traitent ce sujet pour une catégorie d'activités. Coexistent par exemple le Greenhouse Gas Protocl (GHG), le guide "Quantifier l’impact GES d’une action de réduction des émissions" de l'ADEME, ou encore, en France, le mécanisme de Certificats d'économie d'énergie. 

Les activités évaluées peuvent être des projets, des produits, des services ou des investissements. Selon cette publication, le calcul des émissions évitées s’effectue en comparant les analyses du cycle de la solution bas-carbone à une solution de référence. L’analyse du cycle de vie (ACV) d’une solution consiste à évaluer l’ensemble des impacts environnementaux d’un produit, d’un service ou d’un procédé, sur toute sa chaîne de valeur. Dans le cas des émissions évitées, les ACV sont faites uniquement sur les critères des émissions de gaz à effet de serre. "Une solution qui est présentée comme bas-carbone est ainsi une solution qui, le plus souvent, va au-delà de la réglementation", indique EpE. Elle devra être présentée avec l'ensemble des hypothèses retenues, sans occulter les autres produits et services de la gamme de l'entreprise, qui, eux, peuvent ne pas être bas-carbone.  

Ainsi, les entreprises font le choix du mode de développement de leur méthode de calcul. Ce sujet doit faire l’objet en interne d’une concertation transversale (direction RSE, achats, financière, technique, risque, compliance, ... mais aussi marketing et communication). Le choix de la solution de référence doit répondre à plusieurs caractéristiques, comme de répondre aux mêmes besoins que la solution évaluée, d’être une alternative crédible et disponible sur le marché, et aussi utiliser la même méthodologie d’évaluation d'émissions de GES entre la solution évaluée et la solution de référence. "La bonne compréhension des "évitements" est importante pour un choix rationnel entre les solutions disponibles", insiste Jean-Dominique Sénart, président d'EpE et du groupe Michelin.  

De plus, le choix du scénario d’évaluation et de référence doit recenser l’ensemble des conditions (mix énergétique, évolution réglementaire, évolutions du marché..) et des paramètres (durée d’utilisation retenue, comportement moyen de l’utilisateur) ayant un impact sur le calcul et le périmètre utilisé. Les émissions évitées prises en compte sont issues de l’ensemble de la chaîne de valeur du produit / service ou de l'entreprise, y compris par exemple "des produits, services, projets ou investissements qui permettent [aux] clients de réduire leurs propres émissions de gaz à effet de serre". 

La concertation intègre dans l'idéal les parties prenantes de l’entreprise, comme des clients, des fournisseurs et des associations de consommateurs, afin de renforcer la crédibilité de l’entreprise sur ce sujet par une démarche partagée. L'association recommande de mettre en œuvre une méthode qui soit transposable par le plus grand nombre d’entreprises concernées, à l’échelle d’un secteur ou d’un territoire par exemple. En effet, "en affichant des chiffres difficiles à appréhender pour les consommateurs ou les parties prenantes, peu précis et peu cohérents entre eux, l’entreprise pourrait créer le doute chez ses partenaires", indique EpE.

Un critère clef pour investisseurs et stakeholders

Communiquer sur les émissions évitées distingue la contribution de l’entreprise dans la transition économique et environnementale vers un monde décarboné, plus précisément pour certaines vers l'atteinte d'un scénario "2 degrés". Ce faisant, l’entreprise véhicule une image positive de sa stratégie climat, qui différencie son offre auprès des clients finaux. Elle a intérêt à communiquer auprès des consommateurs son engagement concret dans la transition environnementale, au travers de ses solutions. Les consommateurs sont en effet de plus en plus attentifs à cet engagement dans leurs décisions d’achats. "Selon une étude menée par le GHG Protocol(3), plus de la moitié (58%) des organisations interrogées calculent d’une manière ou d’une autre des émissions évitées grâce à leurs solutions, que ce soit au sein de leurs propres activités ou chez leurs clients et fournisseurs. Parmi elles, les trois quarts communiquent les résultats à un tiers", selon les auteurs.

Les investisseurs attachent également une importance croissante aux risques climatiques. Le Conseil de Stabilité Financière du G20 a d’ailleurs demandé un rapport sur le reporting financier des risques liés au climat à un groupe de travail dédié, le TCFD (Task Force on Climate Disclosure). Le rapport de juin 2017 de la TCFD recommande d’établir des objectifs en terme d’émissions évitées : "Dans ce cas, le rapport demande à ce que soit clairement indiqué : la nature de l’objectif (absolue ou en intensité), l’année de référence, l’échéance ainsi que les indicateurs utilisés pour mesurer la réalisation de l’objectif", précisent les auteurs. 

A plus long terme, les entreprises ont tout intérêt à prendre en considération dès à présent la méthode des émissions évitées dans leur stratégie climat. Le rapport du TCFD incite en effet fortement les investisseurs sur les risques à intégrer, en particulier les risques réglementaires (dont l’augmentation des taxes sur le carbone), le risque technologique (substitution, coûts de transition) et le risque de marché (comportement des consommateurs, coût des matières premières) afin que leur valorisation soit justement appréciée sur les plans financiers et extra-financiers par les analystes de marché. Et le ministre Nicolas Hulot avait abordé ce point, en se prononçant pour une augmentation du prix de la tonne carbone au-delà de 100€ en présentant sa  stratégie climat en juillet 2017, afin de favoriser le développement des EnR et de s'inscrire dans une trajectoire "2 degrés" et facteur 4 de la LTECV. Un exercice qui devient maintenant indispensable pour les entreprises responsables soucieuses de préserver leur valeur. 

EpE, regroupe une quarantaine de grandes entreprises françaises et internationales issues de tous les secteurs de l’économie, dont plusieurs ont déjà par ailleurs mis en place volontairement un prix interne du carbone. 

 

LIENS DE L’ARTICLE

site web: EpE Etude Emissions évitées Les entreprises évaluent leurs solutions pour le climat (sept 2017 - page web): http://www.epe-asso.org/emissions-evitees-septembre-2017/

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