Arnaud Gossement : Après le Grenelle de l’environnement, « le regard sur les entreprises a changé »

La rédaction | 27 Octobre 2017 | 1295 mots

Gossement Arnaud

Que reste-t-il du Grenelle de l’Environnement ? 10 ans après la tenue de ce sommet porté par Nicolas Sarkozy, le droit environnemental a largement infusé les textes de loi et pèse désormais sur le fonctionnement des entreprises. Pour Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l’environnement ayant participé au Grenelle, même si beaucoup reste à faire, ce sommet a transformé le rapport de la France à l’écologie (en accès libre)

Quel est l’héritage politique du Grenelle de l’environnement ?

Vous ne trouvez plus aujourd’hui un candidat local ou national qui fasse totalement l’impasse sur l’écologie. Et ce quel que soit son programme ou sa formation politique. Et cela inclue les extrêmes même si on peut questionner leur sincérité et leur expertise. C’est un changement profond.

Le legs juridique de ce sommet est-il toujours prégnant aujourd’hui ?

Le Grenelle a considérablement renforcé une tendance déjà à l’œuvre depuis l’adoption de la charte de l’environnement (en février 2005, NDLR) qui a été adossé à notre constitution. Le droit de l’environnement se diffuse aux autres branches du droit. Les acteurs du Grenelle ont parlé de tous les sujets : de fiscalité, d’agriculture, etc. C’est ainsi que l’on a regardé comment le droit de l’environnement s’articulait avec le droit fiscal, celui de l’urbanisme, du droit des affaires…

Le Grenelle a aussi sacralisé la place des ONG environnementales…

L’émergence d’un dialogue environnemental date vraiment de 2007. C’est à ce moment-là que le gouvernement a pour la première fois reconnu la légitimité de certaines ONG. Sur cette question, le bilan est aujourd’hui mitigé. L’État n’est pas parvenu à pérenniser ce dialogue. C’est un fait. La réforme du Conseil Économique Social et Environnemental est un échec patenté. Les nominations au sein de cette chambre et le peu de considération accordé aux avis rédigé par cette chambre n’en fait pas la chambre du futur que Nicolas Hulot appelle de ses vœux.
Le deuxième instrument de ce dialogue c’était le Conseil National de la Transition Écologique. Ce devait être un outil interministériel. Les acteurs du Grenelle ne s’étaient pas adressés qu’au seul ministre de l’écologie. Aujourd’hui, c’est une instance qui n’intéresse pas les autres ministres et au sein de laquelle on ne dialogue pas réellement. Les réunions ressemblent plutôt à des enchainements de monologue. On peut noter enfin que la régionalisation du dialogue environnemental n’a pas abouti. Au contraire, sur de grands projets d’infrastructure comme Sivens, Notre-Dames-des-Landes ou Roybon, la situation dégénère en conflit voire en drame.

Le danger du greenwashing

Le constat est-il le même avec le secteur privé ?

Ce n’est pas mon analyse. Le secteur privé a pris conscience qu’il n’est plus possible d’avancer sans concertation. On le constate en particulier sur les chantiers d’infrastructures. L’approche d’entreprise comme RTE ou RFF est intéressante. Plus aucun de ces projets électriques ou ferroviaire ne se dispense plus d’une consultation publique préalable. C’est aussi le cas sur les projets d’énergies renouvelables.

Quels impacts sur les entreprises ?

Avant 2007, elles n’étaient pas toujours reconnues comme des acteurs du changement, notamment par les écologistes. C’est désormais le contraire. Un dialogue s’est noué et le regard sur les entreprises à changer. Elles peuvent toujours oblitérer la question écologique mais ce serait un choix de très court terme. Aucune organisation ne peut plus faire l’impasse sur ce sujet car cela lui ferait perdre des ressources, de l’argent et l’énergie. D’autre parts, elles sont confrontées à des clients et des prestataires qui sont toujours plus nombreux à être sensible à ces thèmes. Toutes les entreprises répondent-elles à ces enjeux ? Non, bien sûr. Mais elles sont toutes concernées. L’exemple du secteur automobile est éloquent : certains constructeurs, comme Volvo (qui ne produira plus de véhicules thermiques en 2019, NDLR) ont déjà anticipé les changements à venir. D’autres ont en revanche triché pour tromper les tests d’émissions de particules fines par leurs moteurs diesel (Volkswagen, NDLR). Elle se prennent en plein l'effet boomerang de ce type de pratiques.

La communication environnementale est-elle aussi devenue un enjeu majeur pour le secteur privé ?

Il est impératif pour toute entreprise d’être transparente sur ces questions. Certaines sont tentées par le green-washing par c’est une attitude dangereuse. Tôt ou tard, une entreprise qui communique de manière insincère sur l’environnement se fait épingler par un journaliste, une ONG ou plus simplement par ses clients.

Un droit illisible

Dans quelle situation se trouve aujourd’hui le droit de l’environnement ?

Le droit de l’environnement est dans une situation critique. Les gens qui élaborent les règles qui le régit s’imaginent trop souvent que les entreprises qui vont appliquer ces règles sont de grandes sociétés avec de grands services juridiques. Il est clair que pour une TPE ou PME, appliquer le droit environnemental, cela relève du défi. Elles sont très nombreuses à ne pas avoir les moyens de se payer un juriste. Je reçois un grand nombre d’entreprises qui ont été confrontées à de graves difficultés car elles n’avaient les moyens de connaitre et de comprendre ces textes juridiques. D’autant plus que ce droit est instable et les règles changent tout le temps. Certes, nul n’est censé ignorer la loi. Mais en contrepartie celle-ci ne doit pas changer tout le temps. C’est un droit non seulement pour les entreprises mais aussi pour les citoyens.

Le droit de l’environnement est aussi écartelé entre deux tendances. La première consiste à le rendre illisible en le truffant de termes techniques. On appelle ça le doit d’ingénieur. Les textes qui encadrent les obligations d’achats des parcs d’énergies renouvelables sont de ce point de vue édifiants. La seconde, c’est la multiplication de grandes déclarations mais qui sont sans valeur juridique. Nous avons un problème de qualité du droit de l’environnement.

Vous prônez aujourd’hui une approche centrée sur les moyens…

Ce n’est pas à la mode de le dire mais on manque de fonctionnaires dans l’administration. C’est un problème d’effectifs mais aussi de compétences. Vous avez des services complètement dépourvus avec des gens qui sont au bord du burn-out parce qu’ils doivent appliquer un droit ultra complexe, qu’ils sont toute la journée la cible de critiques parce qu’ils ne s’acquittent pas assez vite de leur tâche et que les procédures se multiplient. Les premières victimes de cette pénurie d’effectif ce sont les acteurs économiques dont les dossiers moisissent car personne ne peut les instruire.

On souffre aussi d’un manque de moyens. Cela ne sert à rien de créer des territoires à énergie positive (TEPCV) si on ne peut pas les développer. Le ministre de l’écologie vient de nous expliquer que faute de budget, ils ne seront finalement pas activés.

Comment jugez-vous aujourd’hui la méthode de Nicolas Hulot, dont la fondation avait largement contribué à l’animation du Grenelle de l’environnement il y a 10 ans ?

C’est un pragmatique. Il essaie de trouver des consensus et des compromis. C’était la méthode du Grenelle et c’est la seule valable pour un ministre de l’écologie. Il aussi le mérite, malgré son parcours, de ne pas céder au temps médiatique. C’est à son actif. L’immense problème qui est le sien, c’est qu’il fait partie d’un gouvernement qui n’est pas très enthousiaste sur les questions d’environnement. Cela reste un bon ministre, avec les moyens qui sont les siens. Je ne comprends pas les écologistes qui le prennent pour cible comme si le dénigrer pouvait faire progresser les choses. C’est un mensonge.

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