Supply-chain : les territoires à l'appui des relocalisations

Nadia Gorbatko | 16 Juin 2020 | 1332 mots

COLLECTIVITES-LOCALES VILLE

En révélant au grand jour les faiblesses des chaînes de valeur de l’industrie française, la crise du Covid-19 a remis la question de la relocalisation au centre des débats – ainsi que les plans de relance de nombreuses collectivités locales. En la matière, régions et intercommunalités ont un rôle clé à jouer. Elles entendent bien l’assumer, pour permettre aux donneurs d'ordre de "passer commande en local pour un produit de même valeur". Enquête (en accès libre).

Relocaliser. Aujourd’hui, le mot d’ordre est sur toutes les lèvres : celles des consommateurs comme celles de nombreux dirigeants d'entreprise, voire au plus haut sommet de l’Etat. Depuis la mise en lumière de l’extrême fragilité des chaînes de valeurs industrielles françaises par la crise du coronavirus, la démarche s’impose comme une tendance économique forte de l’après covid-19. "Nous étions allés assez loin dans nos stratégies low cost et l’éclatement de nos chaînes de valeur. Beaucoup de donneurs d’ordre ont eu peur de ne plus disposer du matériel critique. Ils changent désormais de regard sur leur sourcing", constate Nicolas Portier, délégué général de l’Association des Communautés de France (AdCF). "En parallèle, la crise a aussi révélé notre capacité de réactivité, de résilience, de solidarité inter-entreprises, ainsi que notre propension à coopérer entre élus, chefs d’entreprises et salariés."

Des binômes région-intercommunalités pour "rebâtir quelque chose de positif"

Une prise de conscience qui pourrait bouleverser durablement la donne et qui trouve déjà sa traduction dans de nombreux plans de relance des collectivités : soutien de 75M€ aux filières stratégiques pour l’Île-de-France, 100 M€ débloqués en Auvergne-Rhône-Alpes "pour éviter à certaines entreprises de se faire racheter dans cette période incertaine et renforcer ainsi leur compétitivité"… Nous nous trouvons aujourd’hui dans un moment particulier, confirme François Blouvac, directeur du programme Territoires d’industrie de la Banque des Territoires (Caisse des Dépôts). "Nous sentons que les chefs d’entreprise souhaitent rebâtir quelque chose de positif." Déjà familiarisés avec cette approche, via le programme « Territoires d'industrie » notamment, lancé fin 2018 par l’Etat, les binômes régions-intercommunalités sont en première ligne pour offrir de l’élan à la relocalisation, en se répartissant les rôles en bonne intelligence : à la région la définition de la stratégie, les schémas de développement économique et les financements ; aux intercommunalités, fins connaisseurs des bassins de vie, le pilotage opérationnel des zones d’aménagement, du fret ou des réseaux, la gestion de l’eau, des déchets ou de la mobilité, mais surtout le rôle d’animateur des écosystèmes.

Attirer investisseurs et entreprises

Une mise en relation incontournable entre les différentes parties prenantes : organisations professionnelles, entreprises et fournisseurs, mais également centres de formation, agences Pôle Emploi, représentants de Business France, de BPI France, de l’ADEME... "Seul ce tissage incessant de contacts et d’échanges permet d’établir une vraie relation de confiance, de partager la stratégie puis d’attirer de nouveaux partenaires", explique Sébastien Martin, président du Grand Chalon. "Les chefs d’entreprise ont aussi particulièrement besoin de parler à leurs pairs." Pour les territoires, le défi est double : envoyer un signal positif aux investisseurs extérieurs intéressés par une implantation, en valorisant leur dynamisme, leur potentiel en infrastructures et en ressources humaines, parfois par le biais d’agences économiques locales ; mais aussi repérer et soutenir les activités externalisées susceptibles de se développer sur place et de récréer les maillons manquants de la chaîne de valeur locale.

La région Grand Est y travaille depuis 2019, déjà. "Nous nous situons dans le top trois des régions qui accueillent le plus d’investissements étrangers et nous entrerons dans la bataille, là où il y aura des deals à gagner. Nous venons d’ailleurs juste de voter la création d’une agence d’attractivité chargée de prospecter les projets à l’international. Mais nous avons aussi la responsabilité de prendre notre destin en main et de permettre à un donneur d’ordre de passer commande en local pour un produit de même valeur", souligne Lilla Merabet, sa vice-présidente en charge de l’économie, du digital et de l’innovation.

Répondre aux attentes et anticiper

D’où la nécessité d’élaborer des plans stratégiques de filières, après avoir analysé finement la situation en amont : quels sont les besoins des industriels, le niveau de dépendance de chaque filière, les biens intermédiaires qui pourraient être rapatriés, de quel pays, et à quelles conditions… A cet effet, la Banque des territoires soutient la réalisation de cartographies des filières et des chaînes de valeur, à raison de deux ou trois filières prioritaires par région ou intercommunalité. Celle du Grand Est est en cours. Le Grand Chalon vient de boucler la sienne ce qui devrait lui permettre de finaliser son plan d’actions dès le mois de septembre prochain. Un exercice difficile. Car pour chacun des territoires, l’enjeu est de se mettre à l’écoute des acteurs de terrain, de cibler avec eux les réponses à apporter, dans le domaine crucial de la formation par exemple – élaborer des plans de Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), mener des opérations de sensibilisation au collège, soutenir les écoles, trouver des logements pour les apprentis ou les étudiants... – , tout en anticipant d’autres besoins à venir, en termes d’aménagement de zones notamment.

"En temps normal, entre l’acquisition des terrains, les fouilles archéologiques, la validation des documents d’urbanisme et l’obtention des autorisations environnementale, un projet peut mettre 6 à 7 ans à aboutir. L’idée est maintenant d’avoir toujours un coup d’avance pour pouvoir proposer, sur des terrains préparés, déjà dépollués si nécessaire, des solutions rapides, voire clef en main, en ayant prévu les bâtiments, les équipements numériques, la logistique, voire la restauration collective", détaille Nicolas Portier. Des innovations qui peuvent aller jusqu’à l’aménagement, soutenu par la Banque de Territoires, de chaînes de production à louer, à l’heure.

Innover et verdir les activités

Autres rôle importants des collectivités : aider les entreprises et les start-up à développer des process plus performants, source de compétitivité, comme l’impression 3D, expérimentée avec succès durant la crise sanitaire, mais aussi devenir les garants et les moteurs du verdissement de l’industrie, facteur incontournable d’acceptation de la relocalisation. Une mission qu’elles assument de multiples manières : via la réalisation de leurs plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), l’animation des réseaux et l’accompagnement des acteurs, par exemple, ou encore par la commande publique. Là encore, les chantiers sont nombreux : soutien aux énergies, aux process industriels propres et à la conception d’éco-matériaux, dépollution des friches, développement de la mobilité durable, aide à la récupération de l’énergie fatale des data-center, valorisation des réseaux de chaleur, appui à l’économie circulaire… Sur le territoire du Grand Chalon, grâce à la collecte assurée par l’intercommunalité, Saint Gobain utilise désormais le carton recyclé par une entreprise d’insertion locale tandis que le spécialiste de la préforme SGT développe sa propre filière de plastique recyclé.

Directeur général du constructeur de matériels d'entretien des accotements et des espaces verts, Noremat, situé à Ludres en Meurthe-et-Moselle, Christophe Bachmann prône quant à lui un véritable changement de modèle : par le développement d’outils de récupération de la biomasse, "pour chauffer la piscine de la commune" et de services de location, mais aussi par la création à Toul d’une unité de reconstruction de machines à partir de machines anciennes. "Une activité assurée par une structure d’insertion, via des emplois non délocalisables et qui sert à la formation de techniciens", souligne-t-il. "La relocalisation n’a pas pour unique but de ramener de la production, surtout quand la ressource s’épuise. Elle doit surtout apporter de la valeur ajoutée au territoire !"

(Illustration : stock image)

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