Un prix plancher du carbone pour l'électricité franco-allemande ?

31 Août 2017 | 1649 mots

Terra Nova

Le think-tank Terra Nova propose l'instauration d’un prix minimum du CO2 dédié au secteur de l’électricité dans "plusieurs pays volontaires" dont la France et l'Allemagne, afin de décarboner le mix électrique en Europe, sans toucher au marché EU-ETS qui peine à se réformer. Une voie pour que l'Europe crédibilise rapidement son leadership dans ... (en accès libre)

L’instauration d’un prix minimum du CO2 pour le secteur de l’électricité dans plusieurs pays volontaires–la France et l’Allemagne en premier lieu – visant à décarboner la production européenne d’électricité ; c'est ce que proposent les auteurs (Alain Grandjean, Sébastien Timsit, Jeannou Durtol, Antoine Guillou, Émilie Alberola, Charlotte Vailles) d'une note du think-tank Terra Nova, qui veulent capitaliser sur la dynamique des accords de Paris et les particularités de la production d'électricité en Europe, qui est en surcapacité. Plutot que d'organiser la fermeture des centrales les plus polluantes - à commencer par celles au charbon -  par la "voie administrative, consistant à imposer des normes sur les émissions de polluants et/ou à fermer les centrales les plus polluantes", ou d'attendre une lourde et longue réforme du marché des quotas carbone (EU-ETS) les auteurs préconisent la mise en place volontaire d'un prix du carbone autour de 20 à 30€/téqCO2 appliqué aux électriciens, arguant qu'une telle réforme, menée de concert entre Etats, aurait par effet d'entraînement un impact plus simple et plus rapide. 

Une question de crédibilité

Dans un contexte du retrait des USA des accords de Paris, des tergiversations des Etats-Unis, et du Plan climat présenté par le ministre Hulot, l'Europe a en effet une chance historique de prendre un leadership mondial dans la lutte contre le changement climatique, soulignent les auteurs. De plus, le marché EU-ETS, entaché par des surplus chroniques (et un historique de fraude massive à la TVA), a perdu toute crédibilité avec des prix qui se traînent autour de 5€ la tonne de carbone. Il recouvre pourtant 45% des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l'UE, dont la moitié est émise par la production d'électricité. Le marché de l'électricité est en surcapacité en raison d'une baisse globale des consommations depuis 2005 (-5%/an) et d'une hausse des capacités (+20% installée entre 2008 et 2015). Dans ces conditions, il est logique de fermer en premier "les centrales à charbon, qui sont les plus polluantes : en 2016, elles représentaient 68 % des émissions de CO2 du secteur de la production d’électricité, soit 15 % des émissions totales de gaz à effet de serre de l’Union européenne". Or, compte tenu de la durée de vie d'une centrale électrique (non nucléaire) de 30 à 50 ans - sans compter plusieurs années de construction, c'est maintenant que les décisions d'évolution du parc doivent se prendre. Or, " les prix respectifs du charbon, du gaz et du CO2, n’incitent pas actuellement à recourir aux moyens de production moins émetteurs de carbone (...) Conjugué à la situation de surcapacité électrique européenne, le risque est d’aboutir, entre 2020 et 2030, à un système électrique conservant beaucoup de centrales à charbon, alors que des centrales à gaz auront été déclassées", déplore le rapport. 
S'il existe déjà un dispositif européen incitatif, il n'est pas crédible sur la période envisagée. "L'ambition européenne pour le marché du carbone sur la période 2021-2030 est insuffisante", soulignent les auteurs qui montrent des trajectoires de diminution des quotas (facteur de réduction linéaire) et de résorption des excédents, c'est à dire leur mise dans une "réserve de stabilité" proposée par le rapport Canfin-Mestrallet-Grandjean (lire nos articles ci-dessous), puis leur annulation progressive. Outre une ambition de réforme trop timide, "les difficultés de l’EU ETS sont plus structurelles et liées aux insuffisances de sa gouvernance, dès sa conception et sa mise en œuvre (...) le système européen ETS est donc particulièrement difficile à réformer, voire impossible à brève échéance", indiquent les auteurs qui citent notamment un marche qui couvre des industries hétérogènes dont certaines soumises à une concurrence extra-européenne (or l'électricité n'est pas exportable mondialement), l'absence de vision politique partagée, des politiques de soutien nationales hétérogènes, et des seuils de majorité nécessaires à toute réforme beaucoup trop hauts : au moins 16 pays représentant plus de 65 % de la population de l’Union européenne.

 

Une mesure déjà en place outre-manche

Brexit ou pas, la mesure est déjà en place depuis 2013 au Royaume-Uni, expliquent les auteurs, bien que sous une forme un peu différente : c'est une taxe à posteriori, circonscrite à la production d'électricité, calée sur le différentiel entre le prix plancher du carbone fixé par le gouvernement et les prix constatés sur le marché des quotas EU-ETS - une nouvelle preuve du dysfonctionnement de ce dernier, et aussi un signal fort de volonté politique. "Ce prix plancher [16 UK£ en 2013] a été initialement fixé autour du prix de marché européen avec une croissance vers un prix de 30 £/tCO2 à l’horizon 202015 et la perspective de 70 £/tCO2 en 2030.Le charbon a été fortement touché par cette décision avec une forte décrue de la production, la part de production à partir de gaz ayant, quant à elle, augmenté entre 2012 et 2015. Il est également notable que la part des importations a parallèlement augmenté dans le mix électrique", relève Terra Nova. Justement, cette mesure a été prise de manière isolée et sans concertation (ce qu'on ne lui reprochera pas) par le gouvernement britannique, ce qui a provoqué un effet de bord prévisible : en raison de l'interconnexion du marché européen, des "fuites de carbone" se produisent lors de la hausse des importations d'électricité de source fossile depuis les pays adjacents. Il en serait de même si la France interdisait les centrales au charbon, et ainsi de suite par contagion au fur et à mesure qu'on se rapproche d'Europe de l'Est, où se situe le plus grand nombre de centrales à charbon (voir la carte tirée de l'étude : part par pays de la consommation couverte par la production thermique fossile - données 2016 - source : RTE). 
C'est tout l'enjeu de cette proposition : "afin de limiter ces effets pervers et de s’inscrire dans la dynamique d’intégration du marché électrique européen, un tel dispositif doit être pensé de manière concertée avec les pays adjacents." Une concertation plus simple à mettre en oeuvre que la réforme du marché européen du carbone, ou que des solutions fiscales ou réglementaires nationales en ordre dispersé. Répliquer le mécanisme anglais de taxe différentielle, si elle requiert la création d'une mesure fiscale par chacun des pays volontaires, "conduirait à la suppression des potentiels effets de fuite de carbone dans ces pays, ceux-ci étant soumis au même niveau de contrainte sur leur production électrique", sans toucher au marché EU-ETS jusqu'au jour où ce dernier, enfin réformé, pourra rejoindre ce niveau de prix. "Les études fondées sur une représentation modélisée du parc électrique européen convergent sur le fait qu’un prix plancher entre 20 €/tCO2 et 30 €/tCO2 (en fonction des prix de marché de gros relatifs du gaz et charbon) permettrait de donner l’avantage aux cycles combinés à gaz, sur la plupart, voire sur la totalité des centrales au charbon", insistent les auteurs, qui rejoignent les conclusion du rapport Canfin-Mestrallet qui préconisait un "corridor de prix" entre 20 et 30€/tCO2 dès 2020. En France, cela reviendrait à la division par plus de deux des émissions de gaz à effet de serre directes du secteur électrique (17,5 MtCO2 en 2015). Pour les consommateurs industriels et particuliers, la hausse des prix à la consommation serait de 15% et 4% respectivement (le fonctionnement des marchés de gros étant différent), en supposant le prix du carbone intégralement répercuté sur le consommateur final. 

Effets de transfert et acceptabilité 

La proposition comporte cependant quelques effet de bord qu'il faut bien peser afin d'en préserver l'acceptabilité : un prix plancher du carbone augmentera la marge des électriciens dont les moyens de production sont peu émetteurs de C02, alors qu'elle érodera la rentabilité de ceux qui sont fortement émetteurs... ou qui se fournissent sur les marchés de gros, comme les fournisseurs dits "alternatifs". L'impact de la hausse des prix touchera les industries dites électro-intensives (chimie, ciment, aluminium, papier... ), jusqu'ici largement exemptées de taxation (réduction de CSPE en France), et qu'il faudra bien indemniser si elles sont exportatrices, par exemple par des mesures de taxation du carbone inclus dans les produits importés, afin de ne pas les désavantager dans une concurrence mondiale. Fermer des centrales signifie aussi indemniser leurs exploitants, et gérer le coût social du reclassement des salariés y travaillant. Des coûts supportés par les Etats, avec l'avantage pour le prix minimum du carbone que propose Terra Nova, de générer un produit fiscal directement affectable à ces mesures d'accompagnement. En France, après la fermeture de Porcheville en région parisienne, il subsiste 5 tranches à charbon de 600 MW situées sur 4 sites : 3 sont détenues par EDF (Cordemais, Le Havre) et 2 par Uniper (Carling et Gardanne, dont l'autre tranche "biomasse" a récemment défrayé la chronique - lire notre article ci-dessous), soit 800 emplois. On rejoint là les "contrats de transition" évoqués par Nicolas Hulot dans son Plan Climat, que les auteurs préconisent même de ne pas attendre vu les ordres de grandeur. Outre l'Allemagne, dont les particularités du marché de l'énergie sont détaillées dans l'étude, l'Italie et l'Espagne sont deux pays à forte production électrique fossile et notamment charbon, qui devront déterminer leurs propres mesures de soutien. Par ailleurs, effet inattendu, la fermeture des centrales les plus émettrices de GES conduirait à ... une baisse du prix des quotas carbone, car leurs exploitants n'achèteront plus les quotas correspondants sur le marché, dont les prix pourraient baisser de 20% - y compris pour les industries non-électriques soumis aux quotas. Il faudra donc que les états rachètent ces quotas, ou avoir recours à des mécanismes de mise en réserve des excédents sur le marché EU-ETS. 

 

 

 

  

LIENS DE L’ARTICLE

site web: Terra Nova : vers un prix minimum du CO2 pour l’électricité en Europe de l’Ouest - août 2017 (page web): http://tnova.fr/notes/accelerer-la-decarbonation-vers-un-prix-minimum-du-co2-pour-l-electricite-en-europe-de-l-ouest

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