Gardanne ou les limites de la biomasse à la française ?

Pierre Sidem | 11 Juin 2017 | 697 mots

PELLETS BOIS

L'ancienne centrale à charbon reconvertie en biomasse, exploitée par Uniper, a vu son autorisation d'exploitation annulée puis restaurée provisoirement, suite à des études d'impact jugées "insuffisantes". Si les ressources vertes des territoires n'ont pas les moyens d'absorber des installations géantes, faut-il importer des pellets de bois ou financer des projets plus petits de manière réplicable et rentable ? (en accès libre)

Un projet phare : l'une des tranches d'une centrale thermique au charbon reconvertie en usine biomasse géante près de Gardanne, exploitée par Uniper, a vu ces derniers jours l'autorisation d'exploitation accordée en 2012 annulée par le tribunal administratif de Marseille qui avait jugée "insuffisante" l'étude d'impact - autorisation réactivée... le lendemain par le préfet des Bouches-du-Rhône. Encore en phase de test après un investissement de 256 M€, la centrale biomasse devait monter en puissance à l'horizon 2024 jusqu'à avaler 850.000 tonnes de bois par an, dont au moins 445.000 de bois "local". Le tribunal a motivé sa décision sur le fait que cette consommation représentait 37% de la ressource forestière disponible dans un rayon de 250 km, alors que les forêts régionales sont déjà sollicitées par les centrales de Pierrelatte et de Brignoles et d'autres installations industrielles (papeterie). 

Etude d'impact mondialisée

Présenté comme une alternative verte aux énergies fossiles et particulièrement au charbon, le bois n'est véritablement écologique que s'il arrive des environs immédiats. Avec un bilan carbone pas facile à établir, mêlé de communication autour des méthodes d'étude d'impact. Car tout d'abord, la fourniture locale, c'est bien, mais dans quel rayon, rallongeant d'autant un transport par camion ? Non seulement les forêts - privées ou publiques - doivent pouvoir fournir la ressource, mais il faut aussi pouvoir la préparer, le conditionnement efficace étant sous forme de "pellets" de bois.
Le Canada ou le Brésil, gros exportateurs de ces granulés, mettent à profit leurs énormes massifs forestiers pour les exploiter industriellement, sans véritable label ni contrôle efficace - alors que le "devoir de vigilance" s'impose maintenant sur ces filières d'approvisionnement : coupe de bois de construction (50%), récupération des sciures (20%) et brûlage des écorces (30%) pour sécher les sciures, conditionnement en pellets qui traversent l'océan atlantique pour 7€/tonne par lots de 30.000 tonnes dans des vraquiers (qui consomment du bunker fuel) et arrivée dans les ports européens à un prix avoisinant 110€ la tonne. Avantageux, lorsque que localement, les contrats d'approvisionnement (et de transport) locaux pour des quantités unitaires bien moindres se multiplient et compliquent gestion, variations de qualité, et transparence.
Uniper consommerait en effet pendant la phase de démarrage de Gardanne environ 55% de ces pellets importés, la fourniture locale provenant à moitié seulement des forêts, le reste étant assuré par des déchets de bois issus de l'agriculture, de l'industrie et... des particuliers. Une multiplicité de filières et d'acteurs qui devra s'organiser pour trier, normaliser et livrer. Autres externalités, les fumées de combustion, contenant des PM10, l'évacuation des cendres (200.000 tonnes par an soit 40 camions par jour, en plus des 200 camions livreurs)... Et des communes dans la zone d'approvisonnement qui sont classées Natura 2000. On comprend bien que l'avantage environnemental n'est pas évident, et que, l'étude d'impact n'étant pas facile à établir, qu'elle puisse déraper en bataille de communication. 

Des projets "scalables" et "réplicables" pour les financeurs

Côté finances, l'équation biomasse n'est pas facile non plus. En l'occurence, Uniper (l'ex E.ON devenu indépendant en 2016) a négocié un PPA de 20 ans qui lui assurerait l'équivalent d'une subvention totale d'1,5Md€ sur cette durée. Pourtant, pour des raisons d'échelle, les financeurs privés sont demandeurs de projets de grande taille plutôt qu'une multiplicité de projets plus petits : en effet pour l'argentier, l'expérience acquise sur un projet donné n'est ni "scalable" ni "réplicable". Et comment attirer des fonds d'infrastructure ou justifier de l'argent public sur la base d'un bilan environnemental contestable? Ce dont la biomasse a le plus besoin, c'est d'une étude d'impact qui chiffre économiquement avantages et désavantages environnementaux, tant sur le plan local que sur le plan des transports et des importations. An fait, un bilan mondialisé pour un projet qui se veut local. 
En attendant, la décision du tribunal étant exécutoire, Uniper dispose de 9 mois pour déposer une nouvelle demande d'autorisation d'exploitation. Entretemps, le dossier sera sûrement passé par le bureau du ministre Nicolas Hulot. A suivre...  

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