Méthane : le secteur pétro-gazier peine à diminuer ses émissions (COP 27)

Lucie Pedrola | 10 Novembre 2022 | 1641 mots

Methane

Un an après la signature du Global Methane Pledge visant à diminuer de 30 % les émissions de méthane d’ici 2030, les experts réunis en marge de la COP27 observent des avancées politiques, notamment aux États-Unis et en Europe. Reste à passer à l’action, et à la diffuser jusqu’aux pays en développement pour atteindre les objectifs fixés.

"La mise en œuvre du Global Methane Pledge n’est pas encore visible". Un an après l’engagement de 100 pays et régions à réduire les émissions de méthane mondiales de 30 % d’ici 2030 par rapport à 2020, le constat du groupe de recherche Climate Action Tracker n’est guère reluisant. Pourtant, à lui seul, cet engagement, présenté par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, comme un "low hanging fruit" de la transition énergétique, permettrait d’éviter 0,2°C d’augmentation des températures à la surface du Globe. Que s’est-il donc passé pendant cette année écoulée ? 

"Beaucoup d’actions ont été engagées", assure Christoph McGlade, responsable de l’unité Energy supply à l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) lors d’un évènement organisé mercredi 9 novembre en marge de la COP27 par la Task force sur la tarification du carbone en Europe. Tout d’abord, 19 nouveaux pays ont rejoint la coalition, les signataires représentant désormais plus des trois-quart de l’économie mondiale. Pour commencer à concrétiser l’engagement, a été lancé en juin dernier le Global Methane Pledge Energy Pathway, initiative spécifique au secteur des énergies fossiles - où se concentre le plus fort potentiel de réduction : un groupe de pays du Nord (Allemagne, Canada, États-Unis, Norvège, UE) ainsi que diverses organisations dont le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) ont réuni un fonds de 59 M€, accompagné de promesses de soutien au développement de politiques dédiées, à la R&D ainsi qu’au déploiement de solutions de terrain. "Des États et des entreprises nous montrent la voie, poursuit Christoph McGlade : si tout le monde faisait comme la Norvège et les Pays-Bas, dont le taux de fuites de méthanes sur leurs opérations pétro-gazières est très faible, les émissions mondiales du secteur seraient diminuées de plus de 90 %".

Des politiques en construction

Mais "le monde entier ne devient pas la Norvège en un jour", ajoute le chercheur... De fait, à l’international, les politiques dédiées au sujet ne font qu’émerger. Ainsi, aux États-Unis (deuxième émetteur mondial de méthane en 2021 derrière la Russie), une proposition de règlementation visant à fixer des taux maximum d’émissions aux nombreuses infrastructures nord-américaines est attendue de l’Environmental Protection Agency (EPA). "La proposition de l’EPA pourrait sortir d’ici la fin de la semaine", précise Mark Brownstein, Senior Vice president Energy de l’ONG américaine Environmental Defense fund. Autre avancée : l'Inflation Reduction Act. La loi américaine d’investissements massifs dans les technologies bas-carbones, votée en août dernier, prévoit un volet méthane, le seul à être punitif : à partir de 2024, les émissions de méthane seront taxées à hauteur de 900 $ la tonne pour atteindre 1 500 $ en 2026. 

L’UE travaille quant à elle sur plusieurs textes pour rendre obligatoire la mesure et le reporting des émissions sur toute la chaîne de valeur des énergies fossiles ainsi que la détection et la réparation des fuites. Le "torchage de routine", qui consiste à brûler du gaz co-produit du pétrole en l’absence d’infrastructures dédiées ou pour réguler le marché, doit être interdit. "Nous allons aussi revoir toutes nos législations environnementales pour inclure la lutte contre les émissions de méthane", précise encore Brendan Devlin, conseiller stratégique à la Direction générale de l’énergie de la Commission européenne. Mais si réguler ses propres opérations émettrices est indispensable, l’UE est avant tout importatrice d’énergies fossiles liées aux émissions de méthane et sa responsabilité pèse surtout sur les opérations en dehors de son territoire. Selon le diplomate, la Commission travaillerait donc à un cadre permettant à terme de donner la préférence aux producteurs les plus avancés en termes de reporting de leurs émissions, ou bien ayant établi des cibles de réduction. L’UE avance également sur sa proposition "You collect/we buy", présentée dans le plan REPowerEU de réduction de la dépendance au gaz russe :  une politique qui vise à apporter une assistance technique et des garanties d’achat aux producteurs qui conservent leur gaz plutôt que de le brûler. 

La Chine de son côté travaille à un plan d’action à échéance 2025 puis 2030, explique Lu Xuedu, ancien spécialiste Climat à l’Asian Development Bank, misant comme l’Europe sur le développement de standards techniques et des cibles et politiques adaptées.

L’assistance aux pays en développement en attente

Quels que soient leurs efforts, les trois grandes puissances vont devoir apporter une assistance technique et financière aux Pays en développement pour accélérer le mouvement et atteindre les objectifs définis à la COP26. "La plupart des technologies nécessaires au repérage des fuites et à leur réparation existent, explique Mark Brownstein, faisant référence aux satellites, drones, avions et assistance technique au sol. Mais ces pays n'ont pas l’accès aux capitaux et à l’expertise technique. Nous espérons qu’en plus des efforts de l’UE et des États-Unis, l’industrie pétro-gazière jouera son rôle, notamment via l’Oil and Gas Climate Initiative (OGCI)". Lancée en 2014, l’initiative réunit des acteurs de toute la chaîne de valeur pétrogazière pour stimuler et investir dans la réduction de leur impact climatique. 12 des plus grandes compagnies mondiales du secteur - TotalEnergies, Aramco, Shell, BP, ExxonMobil… - représentant autour de 30 % de la production mondiale, sont spécifiquement engagées dans un programme commun de réduction de leurs émissions.

Sauf que, l’OGCI en question ne partage pas tout à fait le diagnostic de l’ONG. "En Irak, nous avions engagé une collaboration informelle avec les opérateurs locaux pendant un an et demi, appuyée par un expert de la surveillance des émissions par satellites, GHGSat, raconte Julien Perez, Vice-président Stratégie et politiques. La compagnie avait essentiellement besoin d’être informée et sensibilisée, et non d’assistance dans les réparations". OGCI transmettait les alertes en cas de fuites et les opérateurs irakiens géraient la réparation sur le terrain. En cas de complexité technique, les compagnies membres d’OGCI pouvaient être mises à contribution pour expertise. Mais, a posteriori, l’organisation considère avoir surtout permis une prise de conscience des opérateurs irakiens. Forte de cette expérience, elle doit bientôt étendre ce programme collaboratif au Kazakhstan, en Algérie et en Egypte. Reste que pour effectuer une surveillance granulaire, les drones et avions dédiées fabriqués par les pays du Nord sont des technologies complexes et chères pour les pays du Sud. Ce qui pourrait conduire l'organisation à revoir son point de vue ? "Si des opérateurs nous disent manquer de financements, il faudra réfléchir collectivement avec d’autres partenaires à ce que nous ferons. Mais cela viendra dans un deuxième temps"

Des données à affiner

Autre limite à l'action des pays regroupés dans le Global Methane Pledge pointée par Brendan Devlin au nom de la Commission européenne : "Pour mettre en place nos politiques d’achats et d’assistance à l’égard des producteurs en dehors de l’UE, nous avons besoins de données d’excellente qualité sur les émissions existantes". Or, selon l’AIE, les émissions de méthane sont sous-estimées dans toutes les régions du monde - sauf l’Europe - d’environ 70 %. "Nous mettons beaucoup d’espoir dans le travail futur de l’Observatoire international des émissions de méthane (IMEO, lancé par l’UNEP en octobre 2021 avec le soutien de la Commission, ndlr), poursuit l'expert. Et nous aimerions que d’autres partenaires, comme la Chine, le Japon, la Corée, les États-Unis, le Canada et d’autres, apportent également leur soutien politique et financier". Cet observatoire promet de "révolutionner l’approche de réduction des émissions" en établissant un registre public mondial avec un niveau de précision et de granularité "sans précédent" selon l’UNEP. Des annonces autour de technologies satellitaires et de mécanisme d’alertes liés sont par ailleurs attendues lors de la journée "Décarbonation" de la COP, ce vendredi 11 novembre. 

Malgré les contraintes et les freins, la crise énergétique actuelle pourrait pourtant paradoxalement avoir un effet accélérateur sur la réduction des émissions de méthane. Les projets de surveillance et réparation sont en effet de plus en plus rentables. Le prix du gaz atteignant des sommets, il devient économiquement pertinent d’installer des infrastructures gazières autour des champs pétroliers encore habitués à brûler leurs rejets gaziers. C’est peut-être ce qui a motivé de nombreux acteurs à s’engager cette année à viser zéro émission de méthane en 2030 : les 12 compagnies membres de l’OGCI sont signataires depuis avril de l’initiative Aiming for zero methane emissions, rejointes par une soixantaine de dirigeants de la chaîne de valeur de l’oil & gas. "Nous voulons changer la culture de l’industrie pétro-gazière, s’enthousiasme Julien Perez : puisque les technologies existent, nous proposons de traiter les fuites de méthane avec autant de sérieux que les sujets de sécurité".

De quoi relever le défi mis en avant par Climate Action Tracker, qui a confirmé que les émissions de méthane ont atteint un record de hausse en 2021 ? Pas si sûr… "S’attaquer uniquement aux émissions liées aux fuites (...) c’est rater le véritable objectif, celui de sortir du charbon, du pétrole et du gaz", souligne le groupe de recherche.

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