COP 27 : La transition énergétique, pierre angulaire de la politique américaine pour le climat

Laurence Estival et Lucie Pedrola | 13 Novembre 2022 | 1431 mots

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Engagement sur le méthane, aide au déploiement des EnR pour les pays en développement… Comme en matière de politique intérieure, la transition énergétique est le sujet phare de la politique de coopération américaine sur le climat, comme l'ont souligné les annonces de Joe Biden, le 11 novembre à la COP27, au cours d'une journée dédiée à la décarbonation.

Si la journée du 11 novembre était dédiée à la décarbonation de l'industrie, le discours de Joe Biden, lors de son passage en coup de vent à Charm el-Cheikh, a sans aucun doute volé la vedette aux multiples tables rondes organisées sur le sujet du jour. Il faut reconnaître que le président américain n'était pas venu les mains vides. Après avoir rappelé le vote historique de l'Inflation Réduction Act doté de 368 Md$ qui permet aux États-Unis d'accompagner leur retour sur le devant de la scène climatique d'engagements financiers conséquents, le chef de l'Etat a notamment fait plusieurs annonces pour accélérer la baisse des émissions et faciliter la transition énergétique. "Des initiatives significatives", a salué le think tank E3G, mettant toutefois en lumière plusieurs zones d'ombre.
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Un renforcement bienvenu du Pacte mondial sur le méthane

Lancé il y a un an aux côtés de l'Union européenne avec 100 pays signataires, le Pacte mondial sur le méthane, qui réunit aujourd'hui 130 signataires, doit, a rappelé le président américain, aller de l'avant pour que la planète puisse atteindre les objectifs de l'Accord de Paris. Le secteur de l'Oil & Gas ayant le plus de potentiel de résultats rapides, Joe Biden a initié un cadre spécifique pour les plus gros émetteurs avec la définition de standards internationaux. L'objectif est de baisser de 87 % les émissions américaines du secteur en 2030 par rapport à 2005. Les États-Unis s'engagent également à mettre 20 Md$ de plus sur la table pour réduire plus vite leurs émissions de méthane via une cinquantaine de mesures en cours d'élaboration. 

Dans cette lutte en faveur de la réduction des émissions de méthane, le nouvel outil présenté par les Nations Unies, qu'a salué Joe Biden, sera un allié indéniable. La plateforme publique MARS (pour Methane Alert and Response System) permettra de relier un système de repérage des émissions de méthane par satellites avec un mécanisme d’alerte des opérateurs pétro-gaziers, États comme entreprises. "Cette nouvelle initiative doit mettre à l’échelle les efforts pour détecter et agir sur les plus grosses sources d’émission de façon transparente", commente l’UNEP. À terme, la plateforme doit progressivement agréger des données de plus en plus granulaires, puis couvrir les émissions des secteurs du charbon, de l’agriculture et des déchets. 
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Partenariat pour la transition

Autre temps fort des annonces de Joe Biden : l'aide apportée aux pays en développement pour faciliter leur transition énergétique. Après avoir rappelé un projet de 2 Md$ dans l'énergie solaire en Angola ou un programme de captation de 4 millions de m3 de carbone découlant des opérations gazières en Egypte, le président a présenté un nouveau programme en partenariat avec l'Union européenne et l'Allemagne pour développer les énergies propres dans le pays. Doté de 500 M$ sous forme du gel de 100 M$ de dettes, d'une enveloppe de 100 M$ de prêts et de 85 M$ de dons, il devrait se traduire par le développement d’installations solaires et éoliennes d'une capacité totale de 10 GW destinées à compenser 5 GW d'installations gazières inefficaces. De quoi, selon Joe Biden, débloquer plus de 10 Md$ d'investissements privés. 
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Cette annonce qui intervient au moment où l'Egypte "explore" comment atteindre la neutralité carbone - une nouvelle NDC devrait être transmise en juin 2023 -  pèsera sans aucun doute dans la balance. Le Caire pourra aussi compter sur la plateforme MARS, côté méthane.  À partir de 2023, le pays compte initier un programme de détection des émissions de méthane dans le secteur pétro-gazier, identifier les projets prioritaires et lancer des ateliers pour informer les secteurs publics et privés du programme. "Nous pouvons obtenir des résultats facilement, a lancé le ministre égyptien du Pétrole et des Ressources minières, Tarek el Molla dans une conférence dédiée aux avancées du Pacte mondial sur le méthane. Toutes les parties prenantes sont alignées pour que cela fonctionne. Nous allons montrer l’exemple pour le continent africain, et nous ferons le point l’année prochaine à la COP28".

Zones d'ombres

Peu d'informations n'ont encore filtré sur le nouveau programme entre l'Union européenne, des États-Unis et de l'Allemagne qui, s'il reprend les grands principes des JET-P (les Partenariats pour une Transition Energétique Juste), n'en fait visiblement pas partie… Citant le communiqué de la Maison Blanche, indiquant à la fois que l'Egypte pourrait "renforcer sa sécurité alimentaire et libérer plus de 2 milliards de m3 de gaz",  le site Climate Change News se demande si ce "gaz libéré" ne pourrait pas en réalité être exporté vers l'Europe et plus précisément vers l'Allemagne. Ce tour de passe-passe permettrait à la fois de faciliter la tâche du Caire pour sa feuille de route vers la neutralité carbone - les émissions liées à l'utilisation du gaz ne sont pas comptabilisées, selon le protocole des Nations unies, dans le pays producteur mais dans le pays qui le brûle - et rendre service à Berlin en quête de sources de diversifications de ses approvisionnements. Un commentaire qu'hésite, à ce stade, à reprendre le WRI, estimant manquer de recul, pour statuer. 

Quoi qu'il en soit, les déclarations du Joe Biden sont venues, comme un écho, répondre au Directeur Générale des Nations Unies pour le développement industriel, Gerd Müller.  "Les pays industrialisés doivent prendre leurs responsabilités, a-t-il résumé au cours d’une des conférences du jour dédiées à la décarbonation. Dans un contexte où la demande en énergie va augmenter de 70 % d’ici 2050, où l’hydrogène bas-carbone ne sera pas une réalité avant 10 ou 20 ans, où un continent comme l’Afrique ne pourra pas faire sans les énergies fossiles pendant les prochaines années, ils doivent lancer des investissements gigantesques pour faire venir le secteur privé. Nous avons besoin de plus de volontéé

Des engagements à relativiser

Ce constat rejoint celui du cabinet PwC dans son état des lieux des investissements dans les technologies d’atténuation du changement climatique publié ce 11 novembre. Certes, les investisseurs ont montré une certaine résistance au contexte de crise et d’inflation, la part d’investissements dédiée à des technologies d’atténuation atteignant même des records, mais cette comparaison cache une baisse des capitaux en valeur absolue. Le financement par capital-risque des start-up est tombé à 52Md$ au cours des trois premiers trimestres de 2022, soit 30 % de moins qu'à la même période l'année dernière. Quant à l'indice de décarbonation des pays du G20 (un indicateur des progrès réalisés en matière de réduction des émissions de CO2 liées à l'énergie et de décarbonation de leurs économies), le cabinet de conseil constatait en septembre dernier sa baisse à son plus bas niveau en 10 ans, à  0,5 %, le plaçant à un niveau " bien inférieur au taux de 15,2 % dont la société a besoin pour limiter le réchauffement à 1,5 °C"... 

Reste à savoir si les annonces américaines permettront d’accélérer les choses, compte tenu de la capacité du président à faire passer des textes, selon les nouveaux équilibres encore incertains au Sénat et à la Chambre des représentants. Les Etats-Unis pourront-ils notamment verser chaque année 11,4 Md$ d'ici à 2024, annoncés par Joe Biden dans son discours, pour alimenter le fonds de 100 Md$ d'aides annuels promis par les pays développées aux pays en développement et "rattraper" ainsi le retard pris par le plus grand émetteur de gaz à effet de serre, s'interroge le think tank E3G qui rappelle par ailleurs que les annonces du président américain, aussi intéressantes soient-elles, ne représentent qu'une goutte d'eau par rapport aux besoins…  À titre d'exemple, que pèsent, par rapport aux pertes estimées entre 30 à 40 Md$ du Pakistan dues aux récentes inondations, les 11,4 Md$ annoncés par Joe Biden pour atteindre les engagements des Etats-Unis au sein des 100 Md$ annuels promis par la communauté internationale pour aider les pays du Sud, pointe E3G…

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