Neutralité carbone : l’ONU fixe les futures règles du jeu (COP 27)

Face à la multiplication des annonces de neutralité carbone, en particulier de la part des acteurs non-étatiques, l’ONU a commandé un rapport à un groupe d'experts de haut niveau pour définir des grands principes d'"intégrité". Un travail, présenté ce 8 novembre dans le cadre de la COP27, qui vise à éviter les risques de greenwashing.
"L'intégrité compte". Le titre du rapport rédigé par des experts de haut niveau sur la manière de crédibiliser les annonces de neutralité carbone des acteurs non étatiques (entreprises, institutions financières, collectivités locales) donne immédiatement le ton. Le concept de neutralité carbone n'étant pas réglementé, ces engagements de neutralité carbone, qui, de plus, sont volontaires, prennent des formes différentes, souvent d'ailleurs avantageuses, pour les acteurs. Et si certains pays, comme la France avec les différents avis de l'ADEME, ont commencé à créer un cadre, il n'en va pas de même sur toute la planète.
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Autant de raisons qui ont poussé l'ONU il y a an à vouloir établir un certain nombre de règles du jeu. Un début de normalisation devenue nécessaire, selon Antonio Guterres : " Si nous nous félicitons des annonces, les critères et étalons utilisés comportent des lacunes qui ne permettent pas d'évaluer les progrès. Nous devons avoir une tolérance zéro pour l'éco-blanchiment", a martelé le Secrétaire général, lors de la présentation. De quoi éviter de troubler les populations mais encore plus de mettre en danger les efforts collectifs d'alignement sur l'Accord de Paris.
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Cinq principes, dix recommandations
Concrètement, ce travail aura duré sept mois aux termes desquels les auteurs ont mis en avant 5 grands principes et 10 recommandations qui en découlent afin de baliser ce qu'implique l'affirmation de neutralité carbone. Ce tour de vis se manifeste par le choix des termes retenus par les auteurs : les plans présentés par les acteurs non étatiques doivent être "ambitieux, intègres, transparents, crédibles et justes". Entrant dans les détails, le rapport égrène ses recommandations : un engagement net zéro doit être un engagement de l'ensemble de l'entité, rendu public par la direction, et refléter la juste part de la ville, de la région ou de l'entreprise dans l'atténuation climatique mondiale nécessaire. Il doit aussi contenir des objectifs à cinq ans et indiquer des mesures concrètes alignées avec l’Accord de Paris et doit couvrir l’ensemble des chaînes de valeurs. Autre impératif : ne pas attendre 2050 pour le traduire en actions sonnantes et trébuchantes.
Les entités non-étatiques sont ainsi invitées à établir des priorités pour réduire rapidement et en profondeur leurs émissions en valeur absolue et non en intensité. Et si elles ont recours à la compensation carbone, les crédits achetés sur le marché ne doivent pas être comptés pour diminuer de plus de 5 % leurs émissions. Ce qui revient, sans en employer le terme, à limiter leur utilisation aux émissions résiduelles. Recommandation tout aussi contraignante, les acteurs non étatiques doivent montrer que leur gouvernance, leurs investissements, leurs dépenses de recherche développement, leur politique de ressources humaines ou encore leurs actions de relations publiques visent certes à atteindre les objectifs annoncés, mais surtout à favoriser une "transition juste" et inclusive. Les acteurs doivent en outre publier chaque année les avancées au regard de leurs engagements, des résultats pouvant être vérifiés auprès d'auditeurs-tiers indépendants.
Pas de fossiles ni de déforestation
Le rapport est également particulièrement sévère pour certaines entités dont l'activité même – c'est notamment le cas pour l'énergie, l'exploitation de ressources minières ou de l'agriculture – peut avoir un impact négatif sur le climat. Ces acteurs ne doivent pas plaider en faveur d’actions positives pour le climat et œuvrer contre leurs engagements. En clair, on ne peut pas s’engager sur un plan de neutralité carbone en continuant à investir dans les énergies fossiles ou dans des activités ayant un impact négatif sur les écosystèmes. Un rappel à l'ordre qui s'adresse aussi aussi aux investisseurs.
S'engager pour la neutralité carbone étant pour les entités non-étatiques un exercice volontaire, l'ONU entend toutefois mettre tout son poids dans la balance pour peser auprès des gouvernements nationaux. Antonio Guterres a exhorté les pays à établir des réglementations reprenant les principes détaillés dans le rapport, plaidant pour la création d'une Task Force afin de convaincre différents régulateurs nationaux de travailler ensemble. Un travail salué par le WRI comme par Reclaim Finance. "Le HLEG a rendu un grand service à la communauté internationale en expliquant pourquoi des normes scientifiques pour le 'net-zero' sont essentielles et les caractéristiques clés qu'elles doivent contenir, s'est félicité Lucie Pinson, sa fondatrice et directrice générale. A l'heure où les banques dites 'net-zero' injectent des milliards dans de nouveaux projets fossiles, il est particulièrement encourageant que les auteurs aient remis les pendules à l'heure."
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