COP 27 : A mi-parcours, un chemin vers un accord semé d'embûches

Laurence Estival et Aurélie Verronneau | 14 Novembre 2022 | 1637 mots

PresidenceCOP27

Alors qu'il reste un peu moins d'une semaine pour que la COP27 débouche sur un accord, la présidence égyptienne est sous pression. Faire avancer les nombreux sujets sur la table à l'heure où les négociations vont dépasser les questions techniques pour s'engager sur le terrain politique ne sera pas aisé…

À l'aube de cette deuxième semaine qui s'annonce cruciale, les commentateurs se montrent réservés sur l'issue de la COP 27. "Nous sommes prudemment optimistes, même si ça aurait pu être pire", concède toutefois la délégation française, non sans raison : "Peu de sujets ont réellement avancé", mentionne Lola Vallejo, directrice du programme Climat de l'IDDRI, quand le Réseau Action Climat évoque un début de négociations "lentes et procédurales". La faute à qui, la faute à quoi ? À une multitude de raisons liées aux tensions entre les pays du Nord et du Sud et à des agendas qui ont du mal à se recouper : quand les pays en développement ont mis la question des financements au centre de leurs préoccupations, le négociateur de l'Union européenne, Jacob Wercksman se demandait en fin de semaine dernière "où est passé l'Accord de Glasgow ?

Pour arriver à un consensus, la présidence égyptienne va donc devoir faire preuve d'entregent et de diplomatie. Les responsables politiques commencent à arriver à Charm El-Cheik et vont prendre le relais des techniciens qui jusqu'ici préparaient les dossiers en amont. Avec un premier draft de "cover decision" attendu dans les prochaines heures.

L'atténuation toujours en ligne de mire

Parmi les sujets sensibles figure l'inscription noir sur blanc dans le texte de compromis de l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Pour la délégation française à Charm El-Cheikh, "nous avons réussi à réaffirmer cet objectif à Glasgow, nous avons absolument besoin de continuer à le sécuriser". Or, certains pays souhaitent remettre cet objectif en cause. "Un monde à 1,5°C ou à 2°C, ce n'est pas la même chose, explique-t-on du côté de la délégation française. À 2°C, il n'y a pas de barrière de corail, à 1,5°C, on a peut-être la possibilité de sauver des coraux…" En droite ligne, la question du pic des émissions de gaz à effet de serre va également entrer dans les débats. Le regard se tourne du côté de la Chine, qui s’est engagée à atteindre son pic en 2030, alors que pour le GIEC il est nécessaire d’y parvenir entre 2020 et 2025. L’Inde a pour sa part précisé sa stratégie de long terme pour atteindre la neutralité carbone en 2070, avec "l'annonce d'un pic à 2040, selon la délégation française, ce qui reste un énorme défi". En lien aussi avec l’objectif 1,5°C figure le programme de travail sur l’atténuation du changement climatique, initié à Glasgow, qui vise à relever le niveau d’ambition et à accélérer la mise en œuvre. "Au sein de l’UE nous souhaitons que le programme de travail dure toute cette décennie pour maintenir la pression collective, mais certains pays tels que la Chine pensent que deux ans peuvent suffire", explique encore la délégation française.

Les énergies fossiles, un enjeu climatique mais aussi diplomatique

La question du devenir des énergies fossiles fait, elle aussi, partie des dossiers en souffrance. Alors que le Pacte le Glasgow a permis de formaliser un premier engagement sur le charbon, l’Inde vient de proposer d’étendre l’engagement de diminuer leur utilisation (ou "phase down") à l’ensemble des énergies fossiles. Cette proposition est accueillie favorablement par la France, le Royaume-Uni ou encore les États insulaires. "On sait qu’on aura des résistances très fortes de la part des pays du Golfe, souligne la délégation française, mais cela serait une grande avancée qu’un tel langage puisse être adopté." "Alors qu'elle avait été critiquée à Glasgow pour avoir fait remplacer 'phase out' par 'phase down', rappelle Lola Vallejo, en proposant d’étendre le charbon aux énergies fossiles, l’Inde met tout le monde sur la sellette, y compris l’UE dont la position ambiguë est renforcée par la taxonomie." Une ambiguïté encore illustrée par l'accord entre les États-Unis, l'Union européenne, l'Allemagne et l'Égypte au cœur duquel la livraison de gaz égyptien vers l'Europe en échange d'un appui au développement des énergies renouvelables dans le pays ne semble pas gêner la délégation française ni visiblement Bruxelles qui selon Bloomberg souhaiterait même que l'accord final s'engage sur la sortie de toutes les énergies fossiles... Ces livraisons sont en effet considérées comme transitoires afin de se substituer au gaz russe avant que les investissements "propres" prévus dans le programme REPowerEU ne deviennent effectifs. Reste à faire passer le message aux pays en développement qui ont encore besoin des énergies fossiles pour poursuivre leur développement tout en combattant la pauvreté…

La finance, le sujet devenu totem 

La finance reste quant à elle un "sujet totem" des négociations. "Le sujet nous est renvoyé dans la figure dans toutes les enceintes de discussions", s’agace la délégation française, rappelant que la France et l’UE font partie des bons élèves, à la différence des États-Unis. Or, il ne sera sans doute pas possible de faire les comptes et de savoir si les 100 Md$ promis le sont avant encore deux ans, la date butoir étant fixée à 2023, avec un bilan chiffré attendu en 2024. La question du doublement de la finance dédié à l’adaptation, prévu entre 2019 et 2025, a également connu peu d’avancées, si ce n’est la multiplication par deux des montants engagés par les États-Unis, pour atteindre 100 M$. 

Tout aussi emblématique du travail qui reste à accomplir, le dossier des pertes et préjudices est sans aucun doute un des plus délicats à déminer… Non plus vraiment sur la nécessité de dédier des financements pour aider les pays les plus vulnérables à faire face aux catastrophes climatiques, mais sur la forme et le montant des sommes à mobiliser. La probabilité d'annoncer une nouvelle facilité dédiée est quasiment nulle. "Un tel processus est très long à mettre en place et nous devons, avant de l'envisager, regarder s'il n'y a pas d'autres voies à explorer", a mis en évidence Jacob Werksman. En attendant, pour parer au court terme, plusieurs initiatives ont été dévoilées : la mise en place d'un dispositif d'alertes précoce, annoncée par l'ONU la semaine dernière, la création du "Global Shield", un système assurantiel proposé par le G7 officiellement lancé ce 14 novembre et un dispositif, actuellement à l'étude, qui permettrait aux pays, en cas de catastrophe, de recevoir une aide immédiate de la part des institutions financières internationales.

Reste à savoir si cette vision des choses fera l'unanimité auprès des pays en développement. Le Ghana qui devrait avec le Bangladesh, le Pakistan, le Costa-Rica, Fidji, les Philippines et le Sénégal fait partie des premiers États bénéficiaire du Global Shield a bien mis les points sur les i : il s'agit bien d'une partie de la solution et non pas de la seule réponse à la question des pertes et préjudices. Plus offensif encore alors que le Global Shield a déjà attiré près de 230 M$ - dont 170M$ de l'Allemagne et 20M$ de la France - Mohamed Adow, fondateur et directeur de l'ONG Power Shift Africa, le qualifie de "diversion", critiquant "la réorientation de fonds existants" au lieu de l'annonce de financements nouveaux. 

Tous les regards tournés vers Bali

À quelques jours de la deadline, les regards se tournent vers le G20. La réunion se déroule au cours de la COP, les 15 et 16 novembre, et devrait, selon les commentateurs, donner le ton du texte qui aboutira en fin de semaine. "Sur le 1,5°C et la finance, si les dirigeants sont en désaccord à Bali, leurs ministres présents à Charm El-Cheikh n’auront pas les moyens d’avancer et cela aura un impact direct sur la décision de la COP, pointe Alden Meyer, senior associate au sein du think tank E3G. La capacité du multilatéralisme à se remettre sur les rails est donc clé, mais après le G20 raté en juillet dernier, les observateurs restent prudents. "La guerre en Ukraine devrait occuper une grande partie des débats", expliquait-on en fin de semaine dernière à l'Élysée. Pour autant, la rencontre entre Joe Biden et son homologue chinois Xi Jinping sera suivie de près. "Les deux pays pourraient peut-être trouver sur le climat, sujet moins conflictuel que d'autres, quelques points concrets sur lesquels engager une collaboration", analyse Frances Colón, Senior Director, International Climate Policy, au sein du Center for American Progress. On sait par ailleurs que le Just Energy Transition Partnership (JETP) signé entre le G7 et l’Indonésie sera annoncé à Bali quand les dispositifs similaires prévus avec l'Inde ou le Vietnam ne sont en revanche pas assez avancés pour être annoncés lors de la COP 27... 

Et après ? "Il faudrait prendre le Pacte de Glasgow comme point de départ et aller plus loin, en envoyant de nouveaux signaux sur les énergies fossiles, détaille Lola Vallejo. Mais il sera nécessaire en contrepartie de trouver un langage sur la façon de faire avancer et opérationnaliser les pertes et préjudices". Parvenir à cet équilibre semble à ce stade complexe. "Il n’y a pas beaucoup de marge de manœuvre sur l’aspect financier, observe la chercheuse, il y a eu peu de nouvelles annonces et le Sommet des leaders n’a pas débloqué les choses". L'objectif égyptien est donc de parvenir à cet accord acceptable en fin de semaine. "Avec en fin de course, le sentiment que personne ne soit laissé sur le bord de la route", a insisté Jacob Wercksman. Un moyen d’atténuer les divisions entre le Nord et le Sud ?

(Illustration : UNFCCC, DR)

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