- 20/11/2022 Voir l'article Climat : une COP 27 inaboutie
COP 27 : les leaders mondiaux à l’épreuve de la réalité

Pendant deux jours, les dirigeants des États se sont succédé à la tribune de la COP27. À l’heure où se multiplient les crises, le ton a navigué entre catastrophisme et propositions concrètes.
En un an, le ton des leaders aura bien changé... D’une part parce que le contexte dans lequel se tient la COP27 est bien différent de celui de Glasgow. Finies les annonces décrivant les engagements pour atteindre la neutralité carbone avec des réductions drastiques des émissions comme avaient fait les États-Unis, l'Inde mais aussi, en amont de la Conférence, la Chine. Ces trois pays qui représentent les trois principaux émetteurs mondiaux n'ont d'ailleurs pas fait cette année le déplacement pour participer à ce sommet des leaders, laissant la place à des chefs d'État et de gouvernement de pays en développement omniprésents, venus demander des comptes mais tout autant de l'aide d'urgence. Car avec une superposition des crises géopolitique, économique et énergétique, la planète est entrée dans une nouvelle ère climatique marquée par un besoin d'agir vite et de manière concrète.
Les déclarations chocs sur l’urgence climatique se sont d'ailleurs succédé, entre l’avertissement d’un "suicide collectif" annoncé par le Secrétaire Général des Nations Unies Antonio Guterres et la pose d’un "revolver climatique sur notre tempe" évoquée par le Président du Conseil européen Charles Michel. S’il n’y a pas eu d’annonces fracassantes de rehaussement des contributions déterminées au niveau national (NDCs) et peu de nouveaux engagements en matière de finance climat, les discours sont allés au-delà d'une opposition entre le Nord et le Sud pour aborder les questions de méthodes tant sur les sujets qui fâchent, tel la finance climat, que sur ceux qui prennent de plus en plus d'importance à l'instar de la biodiversité.
Les pertes et préjudices, encore et toujours
Comme on pouvait s'y attendre, la question des pertes et dommages aura été au centre de l’attention… et des discours, à la fois des pays développés, reconnaissant non pas leur responsabilité mais l'urgence de la situation, et de ceux en développement, sans pour autant d’accord clair sur les mécanismes à mettre en œuvre. Les 170 M€ annoncés par le chancelier allemand Olaf Scholz montrent que le message commence à passer, sans pour autant répondre complètement aux attentes : saluant cette annonce, les ONG ont souligné qu’ils ne s’agissait pas d’un montant additionnel mais de sommes déjà engagées au titre de l’aide publique au développement. De plus, ces fonds seraient destinés au futur "bouclier global", un mécanisme assurantiel présenté par le G7 en juin dernier, et non à mettre en place une facilité supplémentaire.
Une même critique pourrait être adressée à la proposition d'Antonio Guterres, visant le lancement d’un plan d’actions sur la période 2023-2027 pour la mise en œuvre de systèmes d’alertes climatiques précoces couvrant l’ensemble de la population mondiale d’ici 5 ans, un programme mené par l’Organisation météorologique mondiale et dont le coût est estimé aux alentours de 3 Md$. Plus proche dans son esprit de la demande des pays du Sud est en revanche la proposition de la Première ministre des Barbades : estimant que les groupes pétroliers devaient "être convoqués entre maintenant et la COP 28", elle a souhaité qu’ils contribuent à un fonds dédié aux pertes et préjudices, une option qui a également été mise sur la table par le Secrétaire Général des Nations Unies.
De nouveaux dispositifs pour des partenariats rénovés
Au cours d’un discours marquant, ou elle a appelé au courage politique des dirigeants, la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley, véritable avocate des pays vulnérables sur la scène internationale, est aussi revenue sur le nouveau fonds mis en œuvre par le FMI, le Resilience and Sustainability Trust (RST), estimant toutefois que les pays du Sud sont soumis à la bonne volonté des pays du Nord de l’alimenter, dont les États-Unis où les élections de mi-mandat pourraient rebattre les cartes. Estimant que les pays vulnérables "ne pourront pas livrer la bataille climatique sans accès à la finance concessionnelle", elle a appelé les banques de développement à prendre plus de risques. "Les banques multilatérales de développement doivent se réformer. Oui, il est temps pour nous de revisiter Bretton Woods. Nous avons besoin d’un New Deal", a martelé Mia Mottley.
Un New Deal que le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a appelé lui aussi de ses vœux en exhortant la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Union européenne et les États-Unis, signataires du partenariat conclu avec Pretoria l'année dernière, de revoir la répartition entre les prêts et les dons, ces derniers ne représentant que 2,7 % des 8,5 Md$ qui doivent être affectés à la sortie du charbon du pays. "Les conditions économiques se sont détériorées et nous sommes confrontés à des remboursements de dettes importants qui risquent de freiner la mise en œuvre de ce programme qui devait être un modèle à répliquer dans d'autres pays, a-t-il expliqué. Mais pour le moment, nos partenaires ne répondent pas à nos attentes." Les revendications de l'Afrique du Sud sont d'autant plus fortes que ces 8,5 Md$ doivent servir d'amorçage et attirer des investisseurs privés, le coût total de la sortie du charbon étant estimé par le responsable à 98 Md$ sur cinq ans…
"Un choc d'investissement"
Antonio Guterres a également évoqué la possibilité de mettre en œuvre des échanges de dette ou debt swaps en anglais, un modèle innovant d’investissement public-privé qui permet de racheter une partie de la dette d’un pays à une valeur décotée (pour cause de risque de défaut de paiement) afin de dégager des fonds et les investir dans des activités de protection de l’environnement. Il a notamment été utilisé par les Seychelles pour financer des projets de protection des fonds marins (lire notre article : "Dette contre nature" : Les Seychelles annoncent atteindre leur objectif de protection des espaces marins). Pour le Secrétaire Général des Nations Unies, un échange de dette pourrait par exemple être mis en place pour aider des pays particulièrement touchés par les effets du changement climatique comme le Pakistan à financer leur reconstruction. Le Secrétaire général de l'ONU espère que les membres du G20, qui se réunissent la semaine prochaine à Bali, trouveront un accord sur le sujet.
Si pour le moment, Emmanuel Macron n'a pas répondu concrètement aux attentes, il a au moins entendu les appels à l'aide et a plaidé pour un "choc d'investissement", posant la question de la réforme des banques de développement. Le président a ainsi répété sa position en faveur de la réallocation de 20 % puis de 30 % des droits de tirage spéciaux des pays riches au FMI, à destination de la transition des pays en développement. De nouveaux cailloux semés en amont des assemblées générales du FMI et de la Banque Mondiale au printemps prochain. Surtout le président de la République a présenté un véritable discours de la méthode pour sortir de l'affrontement et essayer d'avancer, proposant "en cas de catastrophe climatique représentant un risque supérieur à X% de votre PIB, d’activer une clause qui suspend tous les mécanismes de soutenabilité de la dette du pays concerné pour activer des mécanismes d’urgence".
La biodiversité, le sujet qui monte
Au-delà de la finance, d’autres dossiers ont pris forme dans les déclarations des dirigeants ces deux derniers jours. C’est le cas en particulier de la biodiversité, dont le lien avec le climat a été souligné. La question des forêts a été mise en avant : Emmanuel Macron a confirmé la tenue d’un One Forest Summit en mars prochain à Libreville, co-organisé par le Gabon. Une impression de "concurrence" entre initiatives s’est toutefois dégagée, avec dans le même temps l’annonce du "Forest and Climate Leaders' Partnership", une initiative rassemblant 26 pays - dont le Royaume Uni, le Ghana, le Congo ou encore la Colombie et l’Allemagne - qui veulent mettre fin à la dégradation des forêts à horizon 2030. Le président de la République a été plus loin en évoquant d’ores et déjà deux mécanismes : d’un côté la mise en place de crédits biodiversité et de l'autre les "contrats de préservation positifs", qui seront signés avec les pays déterminés à protéger les écosystèmes riches en carbone et en nature sur le modèle des Just Energy Transition Partnerships ( JETPs).
Concernant l’eau, Mark Rutte, le Premier ministre des Pays-Bas, a fait savoir que la hausse du niveau des mers était une priorité, et que le pays allait organiser une conférence dédiée début 2023 avec les États insulaires. Emmanuel Macron s’est de son côté engagé contre l’exploitation des grands fonds marins, une annonce qui a été saluée par les ONG telles que le WWF ou Greenpeace.
Reprendre la main
En attendant que tous ces mécanismes ne se mettent en place, certaines nations parmi les plus vulnérables ont décidé de reprendre la main. C’est le cas en particulier du Bangladesh, du Ghana, des Maldives et du Sri Lanka, qui ont présenté lors du sommet leurs plans de prospérité climatique (Climate Prosperity Plans en anglais). Leur objectif, au-delà d’une économie décarbonée : passer d’un état de vulnérabilité aux effets du changement climatique à celui de résilience. Celui du Bangladesh a été publié au mois de septembre 2021. Il détaille toute une série d’actions avec un plan de financement à hauteur de 76 Md$. Pour les réunir, Dhaka envisage d’émettre des obligations de résilience, une nouvelle déclinaison du mécanisme désormais bien connu des green bonds.
Autre alternative de financement, les crédits carbone. Plusieurs pays africains ont officiellement lancé ce mardi l'Africa Carbon Market Initiative (ACMI) pour développer un marché carbone volontaire en Afrique. L’objectif à 2030 est de générer 6 Md$ de revenus pour financer la transition des économies africaines avant d’atteindre les 120 Md en 2050. "Ce sera un marché du carbone simplifié et transparent qui bénéficiera aux communautés", a mis en évidence William Ruto, le président du Kenya qui est porte-parole du groupe des pays africains. Intéressé par la capacité de l'Afrique à stocker du carbone sur des vastes terres peu exploitées, le responsable entend aussi augmenter la place de la forêt de 20 % dans les prochaines années. 15 milliards d'arbres pour un montant de 500 M$, devraient d'ailleurs être plantés d'ici à 2030. Un chantier à la hauteur des enjeux!
(Illustration : UNFCCC, DR)