COP 27 : accord historique mais des zones d'ombre autour de la finance climat

Laurence Estival et Aurélie Verronneau | 20 Novembre 2022 | 1322 mots

Maldives

La création d'un fonds sur les pertes et préjudices, avancée historique, ne doit pas faire perdre de vue qu'il s'agit actuellement d'une coquille vide qui vient de plus remettre en perspectives la question des financements à mobiliser pour aider les pays en développement à lutter et à s'adapter au changement climatique. Avec pour la première fois un appel à chercher des solutions auprès des Parties mais aussi en dehors de la COP27.
 

"Nous attendions ce moment depuis 30 ans !" En pleine nuit et malgré sa fatigue, la ministre du Changement Climatique du Pakistan, Sherry Rehman, ne cachait pas son émotion… L’avancée majeure de la COP27 est sans conteste l’accord obtenu pour créer un fonds dédié aux pertes et préjudices, les dommages irréversibles causés par le changement climatique. "C’est un moment important de la reconstruction de la confiance Nord-Sud, estime Sébastien Treyer, directeur général de l’IDDRI. C’est à la fois indispensable du point de vue de la justice, mais également un investissement pour permettre aux pays vulnérables de construire leur avenir." Question prioritaire de cette COP si on juge par la mobilisation qu'elle a suscitée, ce dossier a connu une accélération en fin de semaine, au terme d’un marathon diplomatique, et avec l’appui inattendu de l’Union européenne. Alors qu’il y a quelques mois seulement l’UE estimait que la création d’un fonds spécifique n’était pas l’option la plus efficace, préférant mettre en avant l’utilisation de fonds existants - tels que le Green Climate Fund (GCF) ou le Global Environment Facility (GEF) - et de nouvelles réponses comme le dispositif notamment assurantiel du Global Shield ou le système d'alerte précoce proposé par l'ONU, Frans Timmermans a surpris jeudi soir en changeant d'avis. Le soutien inattendu de l’UE a fortement contribué à faire bouger les lignes, et isolé les États-Unis, qui ne se sont pas exprimés sur ce volet lors de la dernière réunion pleinière dans la nuit de samedi à dimanche, mais n’ont pas bloqué. L’option d’un fonds dédié a également été mise sur la table en fin de semaine par les deux pays co-facilitateurs sur ce thème, l’Allemagne et le Chili. Avec au final, trois options ouvertes, allant de la création d'un fonds à l'évocation d'une simple "facilité". La proposition finalement retenue est donc bien la création d’un fonds spécifique, qui doit être rendu opérationnel en 2023. 

Qui reçoit et qui finance...

De nombreuses questions restent cependant ouvertes, à commencer par définir les pays qui pourront bénéficier des financements. La décision de COP mentionne prudemment les pays "vulnérables", le sujet étant si complexe qu’il ne pouvait pas être réglé en quelques jours. La question des pays pouvant bénéficier d’aides est également ouverte. "La liste des pays les moins avancés est évolutive, le Bangladesh doit en sortir en 2026", explique Lola Vallejo pour illustrer la complexité de la situation. L’idée sur la table est que la liste des pays vulnérables sera dépendante des circonstances. Accusé de jouer le jeu de la division entre les pays en développement, Frans Timmermans a voulu rassurer, assurant que le Pakistan pourra bénéficier d’un tel soutien, même s’il n’est pas considéré par l'ONU, compte tenu de son PIB par habitant, comme un des pays les plus vulnérables.

Autre point sensible : qui va mettre de l'argent au pot ? "Nous ne pouvons pas tenir compte du contexte économique de 1992, nous devons prendre en compte les réalités de 2022" a défendu Frans Timmermans, faisant référence à la classification choisie entre pays du Nord et pays du Sud lors de la création de la CCNUCC en 1992. S'appuyant sur la notion de "responsabilités communes mais différenciées" et “des "capacités respectives", Cette dernière établit une liste de pays industrialisés dans l’annexe 1 de la CCNUCC, tandis que les autres sont en "non annexe 1". Mais le vice-président de la Commission a martelé que la liste des pays devant mettre la main à la poche devait être la plus large possible, avec la question sous-jacente des pays du Golfe ou de la Chine. "On ne peut pas demander du jour au lendemain à la Chine de contribuer, il faut considérer que c’est un mouvement de long terme, par ailleurs elle estime qu’elle le fait à sa manière sans vouloir rendre de compte devant la communauté internationale, cela va peut-être évoluer", analyse pour sa part Sébastien Treyer. 

Vers des mécanismes innovants

Trouver une solution à ce dossier en suspens est d'autant plus urgent que ce contentieux risque de ne pas favoriser les discussions sur le financement global. "En 2009, quand les pays du Nord se sont engagés à verser 100 Md$ aux pays du Sud, il n'y avait eu aucune estimation précise des besoins, c'était un objectif politique, explique Jean-Paul Adam, en change du changement climatique au sein de la Commission Economique pour l'Afrique. Or aujourd'hui, on sait, que compte tenu des impacts de plus en plus présents du changement climatique, ce n'est plus de 100 Md dont on a besoin." Le texte publié à l'issue de la COP le souligne : ce sont entre 5,8 et 5,9 trillons qui doivent être mobilisés pour la seule mise en œuvre des NDC des pays en développement d'ici à 2030. Il est également demandé à un comité ad hoc de rédiger un rapport sur la manière d'atteindre, comme le demandent de nombreux pays en développement, le doublement des ressources financières dédiées à l'adaptation qui ne sont toujours pas au rendez-vous. Pas plus que les 100 Md$ annuels promis par les "pays riches" sur lesquels, mis à part les engagements des Etats-Unis à mobiliser 11,4 Md$ au cours des deux prochaines années, les avancées restent très mesurées. "Un sujet totem", selon la délégation française qui contribue à saper la confiance des pays du Sud envers ceux du Nord…

Ces sommes qui vont certes nécessiter le renforcement des financements de la part des pays développés "y compris par des transferts de technologies ou d'appui technique" mais aussi l'appel à des financements "extérieurs à la COP", comme le rappelle le document final. L'idée de taxer les secteurs les plus polluants dont le transport maritime ou les profits excessifs des pétroliers a été évoquée. Mais l'appel au financement s'adresse également aux institutions financières internationales, banques multilatérales de développement en tête. Celles-ci doivent "augmenter et aligner les financements et favoriser l'accès à ces derniers" sur les objectifs climatiques et donc revoir de fond en comble leur "vision, mode opératoire, canaux et les mécanismes" afin de les adapter à cette situation d'urgence, sous forme de prêts, de dons mais aussi de dispositifs autour des dettes contractés par les pays en développement dont le remboursement freine le déploiement de politiques ambitieuses. 

Ces revendications sont aujourd'hui largement partagées par nombre de parties prenantes dont le G20, l'UE, les États-Unis… Lors de son intervention à la COP, Emmanuel Macron a, outre le levier des droits de tirages spéciaux au FMI que Paris a décidé de renforcer, annoncé la tenue d'un sommet sur la finance climat à Paris en juin prochain, s'inscrivent en droit ligne de l'Agenda de Bridgetown dont la première ministre de la Barbade, Mia Mottley est devenue une des porte-voix. Le président de la République a d'ailleurs annoncé à la COP la création d'un comité des sages pour préparer cette réunion dont la responsable de cette île des Caraïbes, particulièrement affectée par le changement climatique, dont elle sera un des visages. "Dans l'intervalle, des annonces pourraient être faites lors des assemblées générales du FMI et de la Banque mondiale, au printemps prochain", rappelle Damien Barchiche, chercheur à l’IDDRI. Des rendez-vous cruciaux en amont de la COP28 pour éviter que le fossé entre le Nord et le Sud, un peu comblé par l'annonce d'un fonds dédié aux pertes et préjudices, ne se transforme en gouffre… 

(Illustration : UNFCCC, DR)

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