Climat : une COP 27 inaboutie

Satisfaction d'un côté, déception de l'autre, avec le plus souvent des sentiments mêlés. Tel est l'étrange bilan de la COP27 qui, malgré une gestion jugée chaotique, aura quand même permis des avancées, tout en pointant leurs limites... par manque d'ambition.
Rien ne prédestinait la COP27 à devenir une COP "historique". Et pourtant… La création d'un fonds spécifique pour les pertes et préjudices lui permettra de rester dans les annales. "Cela suffit à faire de cette conférence un succès, remarque Sébastien Treyer, directeur général de l'IDDRI à l’issue du sprint final, ça n'était pas écrit d'avance". Pour mesurer ce qui a été accompli en moins de deux semaines, il suffit de regarder le chemin parcouru : "A l'ouverture des négociations, la question des pertes et préjudices n'était même pas à l'agenda et maintenant, nous avons écrit une page d'histoire, résume Mohamed Adow, directeur du think tank Power Shift Africa. Cela montre que les discussions au sein de l'ONU peuvent déboucher sur des résultats".
Reste que si ce fervent défenseur des pays les plus affectés par le changement climatique se réjouit de cette victoire, elle n'en garde pas moins un goût d'inachevé. "Concernant la baisse de la production et de la consommation des énergies fossiles, il est triste de voir les pays se contenter de faire un copier-coller de ce qui avait été décidé à la COP26". De quoi faire voler en éclat la stratégie définie par l'Union européenne dans la dernière ligne droite des discussions : si pour éviter une absence d'accord, le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, avait proposé de créer ce fonds pour les pertes et préjudices, il l'avait assorti de la nécessité d'acter la sortie de toutes les énergies fossiles - une proposition faite par l'Inde -, ainsi que l’atteinte du pic des émissions en 2025, avec pour conséquence, la réaffirmation noir sur blanc dans le texte de l'objectif de 1,5°C, au cœur de l'Accord de Paris. "Les deux faces, selon lui, d'une même pièce."
Négociations chaotiques
Sur la forme, l’accord signé au terme d’une nuit marathon n’aura pas été aidé par l’organisation des échanges. Le premier draft de décision est en effet arrivé seulement vendredi matin, laissant très peu de temps aux ministres pour préparer le round final des négociations. Le processus lui-même a été critiqué, le texte étant présenté non pas à l’ensemble des parties, mais lors de rencontres bilatérales. Une gestion des négociations fustigée par nombre de participants. À l'image de la ministre des Affaires étrangères allemande, Annalena Baerbock, accusant la présidence égyptienne "d’obstructions et de lacunes dans l’organisation", estimant que "seule une alliance transcontinentale progressive a permis d’éviter un échec retentissant".
Et si durant toute la matinée du 19 novembre, les membres de l'UE ont campé sur leurs positions, menaçant de claquer la porte s'ils n'étaient pas entendus, ils ont finalement accepté un compromis. Celui-ci mentionne certes l'objectif de respecter la limite de 1,5°C, mais sans nouveaux engagements sur la baisse des émissions ni sur celle des énergies fossiles, rendant de ce fait les progrès attendus quasiment inatteignables… "Aurions-nous dû refuser et de ce fait tuer un fonds pour lequel les pays vulnérables se battent depuis des décennies ?, a interrogé le négociateur européen. Non. Tout cela aurait été une énorme faute et une énorme opportunité manquée." "L’ambition de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C était faible et reste sous assistance respiratoire", a commenté Alok Sharma, président de la COP 26.
Il n'y a pas que ces aspects qui ont été oubliés dans le texte final. Sur le volet de la biodiversité, alors qu’une mobilisation était espérée en guise de signal avant l’ouverture de la COP15 dans deux semaines, le texte a là encore déçu. "La décision finale se contente de rappeler l’importance et l’urgence de protéger et restaurer les écosystèmes naturels, sans néanmoins faire aucune référence à l’accord mondial qui doit être adopté à cet égard à la COP15", regrette ainsi le WWF France. "Les solutions fondées sur la nature sont toiutefois mentionnées dans une décision de COP pour la première fois”, avec un paragraphe consacré aux forêts, se réjouit cependant Leo Hickman, de Carbon Brief, une "excellente nouvelle".
Des avancées majeures
Autre bonne nouvelle : la prise de conscience partagée dans la communauté internationale, au lendemain d’inondations meurtrières au Pakistan ainsi qu’en Afrique de l’Ouest, et alors que plus de 20 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire élevée dans la Corne de l’Afrique en raison de la sécheresse qui y sévit depuis deux ans. Ainsi, la COP et le G20 ont été l’occasion d’affirmer que la crise énergétique mondiale ne reléguait pas les préoccupations climatiques au second plan. En témoigne la reprise du dialogue climatique crucial entre la Chine et les États-Unis - interrompu début août suite à la visite de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, à Taïwan.
Même les pays du Golfe persique, en dépit de leur haute dépendance aux revenus pétrogaziers, ont trouvé leur place au sein de la diplomatie climatique. En particulier, les émiratis, hôtes de la prochaine COP, qui ont envoyé 1 000 représentants à Charm-el-Cheikh (le double de la délégation brésilienne), et en ont profité pour présenter leur feuille de route pour atteindre la neutralité carbone en 2050, mettant l’accent sur "la quête de solutions technologiques", selon les mots du président des Emirats, Mohammed Ben Zayed. Si ce plan n’est pas exempt des solutions les plus critiquées, comme les technologies d’augmentation des pluies par "insémination de nuages", les énergies renouvelables y tiennent également un rôle majeur, avec un des plus gros projets mondiaux d’éolien terrestre annoncé pendant la COP. Les énergies renouvelables ont de fait eu les honneurs du texte final, identifiées clairement comme voie principale de la transition énergétique. "Elles n’avaient pas été incluses dans un texte cadre de COP depuis 2015, se réjouit le think tank Ember, les énergies renouvelables y sont mentionnées 4 fois cette année".
La COP27 aura aussi permis de commencer à poser des jalons dans la chasse au greenwashing. En témoigne, le 8 novembre, la présentation par le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, d’un rapport sur les engagements à la neutralité carbone des acteurs non-étatiques, édictant 5 grands principes et 10 recommandations pour baliser l’allégation. Un rapport qui n’est pas passé inaperçu alors que plus de 2 000 affaires liées au climat ont déjà créé un précédent juridique, comme relevé dans une étude publiée en juin dernier par la London School of Economics. Car au-delà des bonnes intentions, c’est bien la mise en œuvre qui amène son lot de difficultés, de divergences de vue et de complexités techniques.
Une mise en oeuvre compliquée
À la décharge de l'Egypte, aussi, ce n'est pas la première année que les négociations climatiques sont, et de plus en plus, l’occasion de frictions. Et ce d'autant plus qu'il s'agit davantage de se mettre d'accord sur des objectifs qui, même basés sur la science, restent quelque part généraux, que de trouver et mettre en œuvre des solutions concrètes, a reconnu Manuel Pulgar-Vidal, l'ancien président de la COP20 qui s'était tenue à Lima en 2014. De l’Article 6 aux partenariats pour une transition énergétique juste (JET-P), les négociateurs et observateurs ont pu sentir qu’ils rentraient dans le dur des négociations avec leurs lots de technicités. En témoigne par exemple le fossé entre les investissements mis sur la table par les partenaires du G7 pour le JET-P sud-africain en comparaison des estimations de besoins présentés juste avant la COP par le président Cyril Ramaphosa après étude - 98 Md$ contre 8,5 Md$ réunis à ce stade.
Au final, donc, un bilan en demi-teinte avec quand même la crainte qu'il finisse par virer au noir. Les pays en développement ont d'ailleurs bien conscience que le fonds sur les pertes et préjudices doit maintenant accueillir les montants nécessaires pour répondre à leurs espoirs. Et les non-décisions sur la fin des énergies fossiles ou sur le manque de précisions sur la manière de maintenir l'objectif de 1,5°C en vie risquent de transformer cette facilité en tonneau des Danaïdes, les émissions continuant à accentuer les impacts du changement climatique. Surtout dans les pays les plus vulnérables…
(Illustration : UNFCCC, DR)