La lettre-expert #4 - les signaux du reporting extrafinancier (octobre 2020)

Aurélie Verronneau | 15 Octobre 2020 | 1607 mots

Diversite

Diversité, handicap, égalité des chances, .... Autant de thématiques RSE qui ont occupé notre rédaction au cours des dernières semaines, et que nous avons scrutées à l'aide de notre moteur de recherche spécialisé dans l'analyse des rapports extra-financiers. Des thèmes évoqués sous un angle positif par les entreprises, comme le montre l'évolution sémantique de la notion d'inclusion. La pauvreté, premier des 17 ODD de l'ONU, reste cependant un thème peu abordé. Revue de détail dans les rapports 2019 des entreprises (en accès libre).

La politique de lutte contre les discriminations, l’insertion des personnes handicapées et l’égalité entre les femmes et les hommes sont des thèmes incontournables de la déclaration de performance extrafinancière (DPEF), comme prévu par le décret d’application n°2017-1265 du 9 août 2017. Mais de quelle manière les entreprises traitent de ces sujets dans leur reporting extrafinancier ?
Si les sujets de diversité sont très présents dans les rapports, on observe qu’ils sont abordés le plus souvent de façon positive, en présentant les initiatives et actions mises en place et sans évoquer les éventuelles problématiques sociétales qui se posent. La fréquence d’occurrence du terme diversité  - cité 139 fois dans les rapports 2019 étudiés - contre 120 pour le mot discrimination, en est une illustration.

Au cœur des dispositifs : l’égalité femmes-hommes 

Au cœur des démarches mises en œuvre, l’égalité femmes-hommes (147 occurrences en 2019 - abonnés Expert, voir la requête "égalité femmes-hommes"), constat qui fait écho à l’intérêt dominant des salariés pour le sujet, d’après une récente étude conduite par le Medef (lire notre article Social : l'égalité des chances entre espoir et inquiétude). Si le sujet est abordé de longue date, les thèmes évoluent en parallèle des évolutions sociétales, avec l’apparition d’engagements contre les violences à l'égard des femmes (chez CASINO, THALES, par KERING via sa fondation). 
Principal thème connexe, celui du handicap (118 occurrences en 2019 - abonnés Expert, voir la requête "handicap") ; les entreprises présentent les processus RH couverts par les actions mises en œuvre (recrutement, accès à la formation, évolution professionnelle) et les actions de sensibilisation régulièrement mises en œuvre. MANITOU évoque par exemple l’organisation d’un job dating handicap dédié aux métiers du groupe. 
Le handicap peut également rentrer dans les questionnements sur les produits et services commercialisés et leur accessibilité. Ainsi UBISOFT évoque les jeux accessibles pour les personnes en situation de handicap, WORLDLINE sa contribution au développement de technologies contre le handicap au sein des écosystèmes académique et industriel. 
Les entreprises communiquent ensuite sur la question de l’âge. Les jeunes font davantage parler que les seniors (124 occurrences dans les rapports 2019 pour les jeunes contre 76 pour les seniors). Parmi les initiatives notables, CASINO évoque la mise en place d’actions intergénérationnelles (formation, tutorat), encadrée par l’accord "transmission des savoirs", ainsi que la publication d'un guide interne sur le sujet, pour lutter contre les stéréotypes et préciser les attitudes et comportements managériaux attendus. La notion d’intergénérationnel est abordée par 20 entreprises en 2019 (Abonnés Expert, voir la requête "intergénérationnel). VEOLIA ou LIMAGRAIN évoquent ainsi des actions de tutorat. Pour certains acteurs, l'intergénérationnel fait partie des réflexions et actions liées au métier. C'est le cas d'ORPEA, qui met en place des initiatives visant à nouer des liens entre les résidents et les jeunes des crèches ou écoles des territoires d’implantation, ou de KAUFMAN & BROAD, pour qui le maintien du lien social fait partie des sujets de réflexion dans les choix d’implantation des projets immobiliers. Autre acteur du secteur real estate, ALTAREA évoque un partenariat en faveur de l’habitat inclusif et intergénérationnel avec Habitat & Humanisme.
L'inclusion des collaborateurs LGBT est peu évoquée, puisqu'on retrouve le sujet dans 23 rapports en 2019 (abonnés Expert, voir la requête "LGBT"). Les quelques entreprises qui l'évoquent le font sous le prisme de l'engagement, sans préciser les éventuelles actions déclinées, à travers la signature de la Charte de L'autre cercle (CASINO, WORLDLINE, ATOS, THALES, TF1, VIVENDI, ENGIE, TOTAL...) ou, moins souvent, des Corporate Standards of Conduct on Tackling Discrimination against LGBTI People de l’ONU (ORANGE).

Une évolution de la sémantique : de la diversité à l’inclusion

Évolution sémantique observée depuis plusieurs années, l’apparition de la notion d’inclusion, souvent associée à la diversité, et évoquée par 115 entreprises en 2019 (abonnés Expert, voir la requête "inclusion"). Le terme fait cependant rarement l’objet d’une définition, et les entreprises ne disent pas en quoi cette notion fait évoluer leurs engagements ou leurs pratiques. Une initiative d’ALSTOM ressort toutefois : le groupe a proposé à tous ses collaborateurs dans le monde de participer à la définition du terme inclusion, travaux qui ont été utilisés pour préciser ce que sont les comportements inclusifs pour le groupe. 
NEXITY a publié une charte titrée "Ensemble pour l’inclusion", qui aborde les enjeux "traditionnels" d’intégration dans l’entreprise. LVMH de son côté parle "d’inclusion et d’épanouissement des collaborateurs". WORLDLINE rapproche la notion de la protection des droits des personnes LGBT+, et indique en particulier avoir signé les Normes mondiales de conduite à l’invention des entreprises (United Nations’ Standards of Conduct for Business). 
Du côté des investisseurs, la notion d'inclusion est rare. EURAZEO fait figure d'exception, en présentant le sujet comme l’un des piliers de sa nouvelle stratégie RSE, O2. 

L’inclusion associée à des thèmes spécifiques

Inclusion numérique, bancaire…. au-delà de la démarche diversité, le terme recouvre des thèmes spécifiques souvent en lien avec le business des organisations. Plusieurs acteurs des télécoms et médias font ainsi de l’inclusion numérique un sujet d’engagement, tel Orange qui en fait un axe de développement business en particulier en Afrique, ainsi qu’à travers des actions de mécénat. SOLOCAL s’engage également sur le sujet, plus spécifiquement en faveur des petites et moyennes entreprises ou des personnes en reconversion professionnelle, de même que Sopra Steria, qui indique mettre en place des actions à destination de publics vulnérables, en collaboration avec des clients, partenaires et collaborateurs. EUROPCAR évoque l’accès à la mobilité comme levier d’inclusion sociale et économique.
L’inclusion financière (9 occurrences dans les rapports 2019) n’est pas un sujet réservé aux banques. À travers leurs solutions de paiement (banque sans agence s’appuyant sur les commerces locaux, micro-dons sur les terminaux de paiement…)., WORLDLINE et INGENICO sont en effet acteurs du sujet, de même qu’EDENRED, dont la filiale au Brésil développe des cartes prépayées. 
De leur côté les banques, qui ont des obligations légales en la matière, sont plusieurs à évoquer le sujet ; c’est le cas du CREDIT COOPERATIF, du CREDIT MUTUEL, de LA BANQUE POSTALE, du CREDIT AGRICOLE et de BPCE.  
BOLLORE et SCHNEIDER ELECTRIC s’engagent en faveur de l’accès à l’énergie. CNP ASSURANCE évoque la mise en place depuis 2016, avec ATD-Quart Monde, d’un contrat obsèques destiné aux personnes vivant sous le seuil de pauvreté, quand le groupe VYV mentionne une "offre d'accessibilité à une complémentaire santé." Enfin, ESSILOR-LUXOTICA, à travers ses offres "base de la pyramide", précise son engagement en faveur de l’inclusion, et ouvre le thème de la lutte contre la pauvreté. 

De l’inclusion à la pauvreté ?

Alors que la pandémie de Covid-19 va renforcer la pauvreté dans le monde, l’Objectif de Développement Durable 1, "pas de pauvreté", est dans tous les esprits, et pourrait être un thème sur lequel les entreprises seront davantage questionnées dans les années à venir, que cela soit à travers leurs actions directes auprès des collaborateurs, l’adaptation des offres vis-à-vis de clientèles fragiles, ou par le biais du mécénat.
Le mot pauvreté apparaît dans 62 rapports en 2019 (abonnés Expert, voir la requête "pauvreté"), soit deux fois moins que l’inclusion, laissant entendre que le mot peut faire peur. Il est le plus souvent abordé à travers les actions de mécénat et les fondations mises en place par les entreprises, et donc pas directement pour les propres collaborateurs des entreprises. ALSTOM, NEXANS, VEOLIA ou LVMH évoquent ainsi le sujet à travers les actions de leurs fondations ou leurs démarches de mécénat. BIC fait le lien entre ses produits et l’accès des enfants à l’éducation, contribuant à une réduction de la pauvreté ; le groupe intervient lui aussi à travers sa fondation, avec des dons de produits et des actions en matière de lutte contre le décrochage scolaire et l’accès égalitaire à l’éducation entre filles et garçons.
Dans les rapports qui contiennent le mot pauvreté, on le retrouve souvent avec une seule occurrence. Si le sujet est évoqué, il n’est donc pas traité en détail et le plus souvent, il est utilisé pour expliquer ce que sont les ODD, sans pour autant que l’objectif 1 fasse partie des engagements pris. Comme le montre l’enquête "ODD et entreprises françaises, en action !" publiée par le Global Compact et PwC France en 2019, l’ODD 1 est, sur les 17, le second moins priorisé par les entreprises - dernière le 14, "vie aquatique". Une exception en la matière : BOLLORE, qui a priorisé l’ODD 1 et a identifié 5 cibles sur lesquelles le groupe peut avoir un impact. 
TELEPERFORMANCE est le seul groupe à faire directement le lien entre les deux sujets, en évoquant son engagement à recruter des jeunes restés plus de douze mois sans emploi ainsi que des personnes vivant sous le seuil de pauvreté, preuve que la pauvreté n'est pour l'instant pas liée aux parties prenantes les plus proches des entreprises. 


(Illustration : stock image)

POUR APPROFONDIR LE SUJET

CONTINUER LA LECTURE