Reporting extrafinancier : une Déclaration de Performance Intégrée pour réformer l'Art. 225 ?

Mieux ancrer le reporting extra-financier dans les données comptables des entreprises, c'est l'objectif de la DPI ou Déclaration de performace intégrée. Issue des travaux d'un groupe de travail autour d'Orée, le WWF et le Conseil supérieur de l'ordre des experts comptable, cette évolution veut aussi s'insérer sans attendre dans le corpus réglementaire français. Explications (en accès libre).
La déclaration de performance intégrée (DPI) va-t-elle succéder à la déclaration de performance extrafinancière ou au rapport intégré ? Oui, selon les travaux d'un groupe de travail initié fin 2019 avec Orée, le WWF, la Chaire Comptabilité écologique, l'Ordre des Experts Comptables, le Haut Commissariat à l'ESS, le CGDD, la DG Trésor, l'ANC, la SFAF, et Finance Watch et dont les propositions étaient détaillées ce 21 janvier 2021 au cours d'un webinaire animé par RSEDATANEWS (revoir le programme et les intervenants).
Concrètement, cette DPI vise à corriger plusieurs défauts du format de reporting extrafinancier actuel : "la DPEF est encore trop rétrospective, excepté son chapitre 'modèle d'affaires' qui se projette mais en se basant essentiellement sur des données financières", explique Hervé Gbego, Président du comité Normalisation extra-financière et RSE et Président du club développement durable du Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables. "Elle ne permet pas d'estimer le niveau d'engagement environnemental des entreprises faute de connexion aux données financières", ajoute Alexandre Rambaud, enseignant-chercheur à AgroParisTech, co-responsable de la chaire Comptabilité écologique, et membre de la commission climat et finance durable de l'AMF.
D’où l’idée de réfléchir à une amélioration pragmatique et à court terme. Principal objectif : embarquer des "coûts à caractère environnemental", issus de la comptabilité de l'entreprise, en retenant ceux qui correspondent à la classification CEPA d'Eurostat, c’est-à-dire les activités et dépenses de protection de l’environnement, en différenciant les dépenses immédiates de prévention ou de réparation des dépenses planifiées liées à la transition (voir encadré).
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Revisiter l'Article 225
"Nous sommes dans un momentum favorable : le chapitre 'produire et travailler' de la loi Climat-Résilience, issu des travaux de la convention citoyenne, qui sera présenté en conseil des ministres le 10 février prochain, est un véhicule idéal pour modifier l’article 225 de la loi Grenelle 2 afin d’y intégrer cette proposition, indique Patricia Savin, présidente d’Orée. Les responsables RSE DD sont très mobilisés, les Comex et Codir doivent l'être encore davantage pour flécher leurs investissements vers des acteurs économiques eux-mêmes plus responsabilisés", rappelant que 41 organisations sont déjà signataires de l'initiative.
Une manière d'avancer rapidement, en évitant l'attentisme voire la paralysie des entreprises face aux réformes en cours de leur reporting extrafinancier. "Lorsqu'il s'agit d'objectiver leur DPEF avec des données comptables et financières, beaucoup d'entreprises hésitent par crainte d'efforts supplémentaires. C'est au contraire un avantage pour illustrer leur performance RSE globale et anticiper les nouvelles exigences liées à la taxonomie verte européenne", poursuit la présidente d’Orée. D'autant que celle-ci peut être complété sans attendre, selon Charlotte Gardes, Adjointe au Chef de Bureau Stabilité Financière et Gouvernance des Entreprises en charge de la finance durable à la DG Trésor. "Sans les éléments de perspective extrafinancière donnés par l'entreprise sur ses objectifs de durabilité et le plan qu'elle met en oeuvre, ce découpage financier ne sera pas vraiment utile. La DPI permet d'organiser les informations en s'appuyant sur une nomenclature de classification qui existe déjà."
Alexandre Rambaud partage lui aussi ce point de vue : "La révision de la directive NFRD n'insiste pas sur la connexion entre financier et extrafinancier. La DPI en est un complément qui pourrait être immédiatement actionnable en droit français." De quoi aussi s'affranchir à court terme de la future bataille autour de l'évolution des normes comptables internationales IFRS qu'appliquent beaucoup de groupes cotés. "Cette évolution nous permettrait de rester dans le cadre du reporting extrafinancier régi par un Art. 225 révisé, en lien direct avec la normalisation comptable française. Et en bouchant les trous dans la raquette que sont seuils et exemptions actuels de la DPEF", poursuit le chercheur.
Mieux décrypter les stratégies
"L'argument selon lequel cette proposition sera compliquée et chère à mettre en place est fallacieux, souligne quant à lui Alain Grandjean, Président de la Fondation Nicolas Hulot (FNH) et co-fondateur associé de Carbone 4. Objectiver les engagements extrafinanciers avec des données comptables renforce la valeur de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes. La DPI va rapprocher direction financière et RSE. Ce décloisonnement est essentiel pour apprécier les enjeux de dépréciation. Changer lourdement les référentiels comptables prendra beaucoup de temps. La DPI est une première marche moins doctrinale et surtout plus accessible dans l'immédiat car plus parlante pour les dirigeants."
Tout en ouvrant la porte à des politiques incitatives, selon Ciprian Ionescu, Responsable Capital Naturel du WWF France. "En indexant les informations publiées dans les DPEF sur des indicateurs et objectifs environnementaux standardisés, on peut établir des seuils de durabilité basés sur des connaissances scientifiques dont on dispose déjà sur les gaz à effet de serre, le bruit, la pollution de l'eau, les déchets... la Suisse le fait déjà. Ce qui permettra d'aligner objectifs d'entreprises et objectifs des politiques publiques." Ce dispositif apporte en outre un plus indéniable en matière sociale, mentionne Diane Simiu, directrice adjointe au Commissaire général au développement durable : "L'exécutif et les superviseurs pourraient s'appuyer sur ces informations pour moduler la rémunération variable des dirigeants. La DPI pourrait être aussi un support d'information lors des procédures d'information-consultation des CSE".
Pour Marie-Pascale Peltre, vice-présidente de la commission comptabilité de la Société Française des Analystes Financiers (SFAF) et membre du user panel de l'Efrag, "la DPI va améliorer l'auditabilité des indicateurs extrafinanciers. En attendant la normalisation de la donnée extrafinancière, cela renforce aussi la dimension prospective du reporting : la classification des dépenses proposée par la DPI distingue les dépenses purement environnementales de celles - plus stratégiques - liées à la transition et leurs modèles financiers." Une vision partagée par Stéphane Voisin, Directeur du programme Finance durable à l'Institut Louis-Bachelier, : "Actuellement les investisseurs se basent sur des approches par les risques. Or plus de la moitié de la valeur des entreprises repose aujourd'hui sur du capital immatériel qui ne figure pas au bilan".
Entreprises et investisseurs convaincus
Une quinzaine d'entreprises se sont déjà emparées du sujet. "Nous avons besoin que le bénéfice de nos investissements sur nos émissions de CO2 puisse se traduire immédiatement en terme économique. Le reporting extrafinancier doit répondre à ce défi et l’utilisation de bases comptables va nous permettre de franchir une première marche", indique Bertrand Swiderski, Directeur du développement durable de Carrefour. Un pilote est déjà en place sur un site de Fleury-Michon : "Il s'agit maintenant de voir comment d'associer à nos indicateurs DPEF une performance financière dans nos outils de business intelligence. Cela crée en outre une base de données d'informations communes pour évaluer nos investissements, y compris en R&D", témoigne Philippe Teisseire, son Directeur administratif & financier.
Les investisseurs eux aussi applaudissent : Marie Pierre Peillon, la Directrice de la recherche et de la stratégie ESG de Groupama Asset Management, y voit un moyen d'accroître la convergence : "Nos équipes d'analystes financiers et extrafinanciers ont fusionné en 2016. Nos analystes financiers nous avez alertés sur les difficultés d'accès à l'information extrafinancière. Celle-ci est décentralisée et peu comparable d'une entreprise à l'autre. Intégrer les deux est donc fondamental pour nos décisions d'investissements. » A condition, poursuit-elle, de franchir trois obstacles : la normalisation les données ESG pour qu'elles soient comparables et stables - c'est la mission de la task force de l'Efrag -, l’adaptation des systèmes d'information de l'entreprise pour évaluer l'impact des facteurs ESG sur ses performances financières à moyen terme, et l’évolution des comportements pour comprendre ces impacts."Jusqu'ici, met-elle en avant, nous avons mis la charrue avant les boeufs : il aurait été préférable de normaliser la donnée ESG avant de mettre en place le format DPEF. Et justement, la DPI s'inscrit dans cette évolution naturelle." Une vision de la DPI comme une aide à la décision que partage Ladislas Smia, Directeur de la recherche ISR chez Mirova : "Les enjeux de développement durable d'une entreprise ne peuvent pas se limiter à une bonne gestion des risques. Identifier avec une DPI les niveaux d'ambition et d'investissement à l'aide de données comptables nous aidera dans notre métier d'investisseur."
Les vertus de cette DPI incitent d'ailleurs le gouvernement a accompagner les acteurs dans leur démarche en soutenant le dispositif : "Les règles vont se durcir. Les entreprises qui n'auront pas anticipé vont se trouver en grande difficulté. Nous disons donc oui au développement d'un standard européen [de reporting extrafinancier] par un standard-setter européen, a conclu Olivia Grégoire, secrétaire d'Etat à l'économie sociale, solidaire et responsable. C'est une question de souveraineté dans la définition même de la norme. Nous disons aussi oui a un meilleur contrôle par des tiers vérificateurs indépendants. Nous disons aussi oui à un élargissement du nombre d'entreprises concernées, avec de la proportionnalité. Enfin, oui à une portée extra-territoriale du texte et à un accès libre et gratuit à l'information. C'est un sujet européen mais la France doit rester à la pointe de la réglementation."