La lettre-expert #3 - les signaux du reporting extrafinancier (juillet 2020)

Aurélie Verronneau | 26 Juillet 2020 | 2262 mots

Loupe

Lobbying responsable, controverses, relocalisations, données spatiales et environnement : autant de thématiques RSE qui ont occupé notre rédaction au cours des dernières semaines, et que nous avons scrutées à l'aide de notre moteur de recherche spécialisé dans l'analyse des rapports extra-financiers. Revue de détail dans les rapports 2018-2019 des entreprises (en accès libre).

Troisième édition de notre lettre-expert, qui restitue les thèmes d'enquête ou de questionnement de notre rédaction, au prisme de ce qu'en disent les entreprises dans leur reporting extra-financier. Grâce à notre moteur de recherche spécialisé (qu'est ce que c'est ? - comment ça marche?) nous avons passé quatre thématiques RSE au crible de 174 rapports pour l’exercice 2019 (and still counting) et 333 rapports pour 2018. Des documents de tous type indexés dans notre bibliothèque qui compte déjà au total 1755 documents à ce jour : URD, documents de référence, rapports RSE ou développement durable, rapports ESG ou "Article 173", et rapports intégrés. 
 

Des données spatiales, pour quoi faire ? 


Nous avions récemment enquêté pour vous (lire notre article) : les données spatiales se mettent au service des entreprises pour améliorer information et prise de décision sur les enjeux du changement climatique et de l'environnement (qualité ou modification de la composition de l’air, des sols, des océans, prévention ou évaluation de catastrophes naturelles, intrants...). Les premiers utilisateurs ? Les secteurs de l’agroalimentaire, de l’assurance ou de la logistique, utilisateurs finaux de toute une chaîne d'élaboration de la donnée. 
Pour autant, la plupart des entreprises qui évoquent le sujet dans leur documentation 2018 ou 2019 sont des fournisseurs ou opérateurs de données satellites telles que CLS Groupe, Eutalsat, Thalès ou encore ATOS - qui coordonne le programme européen Copernicus, dont le rôle est de développer des outils et application pour faciliter l’utilisation des données. 
Des services ont également été mis en place par Bureau Veritas, qui dans son document de référence 2018, indique avoir "développé un ensemble de nouveaux services dits d’agriculture de précision (precision farming) sur base de capture d’images par drone ou satellite, permettant la supervision et l’amélioration des cultures, ainsi que de meilleures estimations de rendement a priori". 

Du côté des utilisateurs, le terme de recherche satellite ressort ainsi dans l’URD 2019 de Casino, qui évoque le contrôle de l’origine des bovins : "afin de contrôler la conformité de l’origine des bovins achetés avec les critères socio-environnementaux […], les abattoirs des fournisseurs doivent impérativement utiliser un système de geomonitoring (contrôlé par satellite) qui permet de vérifier cette conformité". Les mêmes pratiques sont présentées dans le Document de Référence (DDR) 2018 de Carrefour, qui a "déployé une plateforme de géo-référencement satellite afin de s’assurer que 100 % de la viande de bœuf fraîche vendue par Carrefour Brésil est conforme à sa politique".
Le terme figure également dans la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF) 2018-2019 du sucrier Tereos, qui a investi dans une "démarche d’observation continue des champs de canne à sucre par satellite […] pour prévenir les risques d’incendies sur les champs".

Les assureurs ne sont pas en reste : dans son Rapport développement durable 2018, Allianz indique utiliser "des services satellites offrant une cartographie précoce des dommages, des rapports d'incidents et des cartes d'analyse de l'urgence, dans une plateforme en ligne de gestion de l'urgence" (traduction de la rédaction, NDLR). 
Le réassureur SCOR (URD 2019) évoque l’utilisation de nouvelles technologies - intelligence artificielle, robots, blockchain, big data, multi-cloud, imagerie par satellite - dans ses métiers, sans en dire plus. 

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Des actions de lobbying "responsable" ? 


Alors que trois investisseurs (BNP Paribas Asset Management, Church of England et le fonds souverain suédois AP7) ont récemment lancé une coalition sur le lobbying climat des entreprises (lire notre article "Trois investisseurs s’unissent pour débusquer le lobbying climatique"), nous vons voulu savoir si cette notion de "lobbying responsable" est présente dans les rapports : nous avons trouvé une vingtaine d'occurences dans les documents 2018 et 2019. Avec des degrés de transparence variables : 

La mention lobbying responsable, sans plus de détail

Dans l’URD 2019 de Séché Environnement, on retrouve l’expression "lobbying responsable", mais elle ne figure ensuite nulle part dans le document. De la même façon, on retrouve l’expression dans la table de correspondance de la DPEF 2018 de Renault, sans qu’elle soit reprise ailleurs dans le document.

Des mentions de politiques internes ou textes de place 

Plusieurs sociétés évoquent les textes signés en la matière, sans en dire davantage sur leurs pratiques : 

Casino (URD 2019) évoque les principes de transparence et d’intégrité du lobbying responsable de l’OCDE, et la Charte Ethique du Groupe, mais ne précise pas la façon dont ces textes impactent ses pratiques. 
Société Générale (URD 2019) évoque sa Charte de Lobbying responsable, sans rendre compte de son activité sur le sujet. 
ADP Groupe (DDR 2018) mentionne sa Charte de lobbying responsable et la déclaration en faveur du lobbying responsable de Transparency France, signée par le Groupe.

Certains détaillent l'encadrement des pratiques

Safran (DDR 2018) évoque la charte du lobbying responsable du groupe, et mentionne la "validation, la gestion et le contrôle des lobbyistes", sans en dire davantage.
JCDecaux (DDR 2018) évoque sa "Procédure interne sur l’engagement et la gestion des Conseils", qui "définit les règles applicables à l’engagement et à la gestion des parties tierces utilisées pour orienter, influer, promouvoir, assister et soutenir le développement stratégique du Groupe" et évoque la réglementation sur les représentants d’intérêt de la loi Sapin 2. 
Aucun élément n’est cependant précisé sur la mise en œuvre du document, si ce n’est l’évocation de "contrôles comptables" sur certains postes de dépenses "sensibles", dont le lobbying. 
Le Crédit Agricole (URD 2019) consacre une demi-page au lobbying, et revient sur les politiques en la matière : textes internes, taille et localisation de l’équipe dédiée au sein du Groupe, organismes cibles des actions de lobbying au cours de l’exercice. 

Les thèmes couverts par le lobbying ?

BIC (URD 2019) consacre une page au sujet, rend compte des types d’acteurs auprès de qui le groupe cherche à exercer son influence (fédération professionnelles, comités de normalisation, groupes de veille, ONG et autorités nationales). Surtout, l’entreprise rend compte des sujets sur lesquels elle a exercé son lobbying, sans préciser pour autant les positions prises : directive et règlement européens REACH, CLP et jouets, textes relatifs aux briquets et rasoirs, en particulier en Espagne sur l’encadrement de leur fin de vie. 

SUEZ (Rapport intégré 2018) précise que le lobbying concerne "les modes de gestion et marchés publics, les textes relatifs au recyclage et à la valorisation des déchets ou encore aux normes applicables et à l’assainissement".

Accor (DDR 2018) indique que les sujets couverts par le lobbying pendant l’exercice sont "les évolutions numériques dans le secteur, la formation, les réformes du droit du travail, le financement de la promotion du tourisme, les aspects réglementaires ou fiscaux liés aux établissements ou à leur exploitation - taxe de séjour, normes de construction, accessibilité". 
Fait notable, Accor est la seule entreprise qui reporte le montant des contributions financières versées à des organisations sectorielles ou fédérations professionnelles (montant communiqué de 458 k€ en 2018) : voir à ce sujet la récente intiative de disclosure open source de Transparency International que nous vous signalons dans notre veille RSE du 27 juillet.

Les pratiques de lobbying peuvent aussi figurer à l’agenda des investisseurs lors de leurs analyses les pratiques ESG des émetteurs. Pour autant, seul un investisseur évoque le sujet dans les rapports publiés en 2018 et 2019. Ainsi Aviva France (rapport Art. 173 – 2018) indique porter son attention "sur la réduction ou l’atténuation de [l’]impact carbone, l’arbitrage [des] dépenses en capital et au développement d’un lobbying responsable en ligne avec une économie bas-carbone". L’assureur ne précise cependant pas de quelle manière cette analyse est effectuée ni ses résultats. 

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Relocaliser, vraiment ? 


Régulièrement évoqué depuis la crise du Covid-19, la relocalisation de certaines productions stratégiques figurait-elle dans les sujets précédemment abordés par les entreprises ? La réponse est négative, le terme n’apparaîssant que dans 22 rapports au total sur les deux derniers exercices, le plus souvent pour évoquer des relocalisations de ... dirigeants ou du personnel (en cas de risque pays notamment), mais rarement pour évoquer l’outil de travail. Autre risque identifié : le risque, cette fois de délocalisation, de certains des fournisseurs ou clients clefs de l'entreprise pour des raisons industrielles ou... climatiques (Manitou).  

Ainsi le Crédit Coopératif (URD 2019) évoque la "relocalisation des collaborateurs", sujet également abordé par Société Générale (URD 2019), qui mentionne le mouvement des gilets jaunes et la possible restriction des déplacements ou relocalisation des employés. 

En revanche, la relocalisation de la production est abordée de façon exceptionnelle. Cela reste très circonscrit à certaines activités, en particulier la distribution de produits bio, qui cherche à développer les circuits courts : Léa Nature (Rapport de développement environnemental et sociétal 2018-2019), indique mener de longue date une "politique de relocalisation de [ses] approvisionnements bio en France". 
Biocoop (Rapport d’activité et de développement rural 2018), dans la même veine, indique que "toutes les filières sont concernées par la relocalisation : pour s’affranchir au maximum de l’importation, établir des liens plus directs avec les producteurs et sécuriser les approvisionnements".
Quand à Fleury Michon, il indique avoir, "pour les emballages, entrepris depuis 2007 un travail de fond pour les relocaliser de l’Asie vers la France et l’Europe. Ce travail nous a permis de limiter le transport et redynamiser les activités locales."

Une exception, plus ancienne : dans sa Communication sur le Progrès 2018-2019, Rossignol indique avoir relocalisé la production des skis junior de Taïwan à Sallanches en 2011.

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Vous avez dit Controverses ?


Peu d’entreprises mentionnent l'expression "controverses" ; on le retrouve dans 12 rapports en 2019 et 19 en 2018. 
Lorsqu’elles évoquent le sujet, les entreprises s’attachent avant tout au lien avec leur image, plutôt qu' à des risques opérationnels ou financiers. Ainsi Voltalia (URD 2019), Vinci (URD 2019) et SUEZ (Rapport intégré 2018) mettent en avant l’importance de ne pas être impliquées dans des projets qui pourraient entacher leur image, de même que Unibail-Rodamco-Westfield (URD 2019) qui mentionne le risque que l’activité des commerçants affecte l’image de ses actifs.
Vinci, au-delà des projets, abordent la question du respect des droits humains sur les chantiers, là aussi sous l’angle du risque d’image vis-à-vis de ses parties prenantes. 

Engie (DDR 2018), qui aborde également le risque d’image, indique s’appuyer sur "une agence de veille externe pour recenser les controverses, y compris celles sur les réseaux sociaux […] afin d’identifier et traiter à la source les problèmes éventuels.

Certaines entreprises présentent les controverses comme un élément d’analyse et de compréhension des enjeux de leur secteur, là encore en lien avec un risque d’image : Sanofi (DDR 2018) avec les tests sur les animaux, L’Occitane (Rapport développement durable 2018)  avec l’huile de palme, ou sans plus de détails, Séché Environnement (URD 2019), Nexity (URD 2019) et Club Med (Rapport RSE 2018).

Dans les secteurs de la distribution, de l’agroalimentaire et des biens de consommation, le sujet est relié aux matières premières. Les groupes de distribution Fleury Michon (URD 2019), Casino (URD 2019) et Système U (DPEF 2018) évoquent la surveillance des ingrédients controversés (additifs, aspartame, pertubateurs endocriniens). BIC (URD 2019) et Pierre Fabre (DPEF 2018) s’intéressent aux controverses liées aux matières premières utilisées dans les produits. Vivendi (URD 2019) évoque le risque de controverse dans le contrôle des contenus audiovisuels.

Plusieurs groupes évoquent aussi les controverses sous l’angle des fournisseurs : Bolloré (URD 2019), bioMérieux (URD 2019) et Bonduelle (DDR 2017-2018) indiquent effectuer une recherche de controverses lors de la sélection de leurs fournisseurs et sous-traitants. 

Du côté des investisseurs, qui ont souvent des politiques d’exclusion de secteurs ou pratiques controversées, le sujet est abordé par l’Ircantec (Rapport Art. 173 – 2018) et l’ERAFP (Rapport annuel 2019) qui présentent leur méthodologie d’analyse en la matière. De façon moins détaillée, la majorité des investisseurs dont les rapports ont été revus évoquent la prise en compte des controverses dans leur analyse et / ou le principe d’exclusion de certains secteurs d’activité. C’est le cas, parmi d’autres acteurs, de Natixis, Axa Groupe, Société Générale, Tikehau Capital, Crédit Coopératif, Crédit Mutuel Groupe, HSBC. 
Lyxxor et Phitrust mentionnent le sujet dans leur rapport d’engagement actionnarial (2019).

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