Convention citoyenne pour le climat : un projet de loi à l'impact imprécis

Avec ou sans filtre ? Révélé ce vendredi 8 janvier 2020 en vue d'une présentation en conseil des ministres le 10 février, le projet de loi reprenant les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat s'appuie largement sur les objectifs européens en matière de climat et d'environnement et sur des stratégies nationales déjà en place. Ce projet en 62 articles, organisé en 5 thématiques, se positionne aussi sur la justice environnementale mais comporte nombre d'échéances lointaines qui en affaiblissent l'impact. Analyse (en accès libre).
"Loin d'une reprise sans filtre", "sabotage en règle" : les ONG environnementales dénoncent le contenu du projet de loi Convention Citoyenne sur le Climat, transmis vendredi dernier au Conseil national de la transition écologique. Intitulé "Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets", le texte devrait être présenté au Conseil des ministres ce 10 février 2021 et suivra ensuite une procédure parlementaire accélérée en lecture unique par chaque chambre.
Des échéances lointaines
Les cinq thèmes de travail de la Convention sont autant de chapitres du projet de loi, qui est "complémentaire du plan France Relance, de dispositions votées en loi de finances, de décisions prises lors des Conseils de défense écologique ou encore d’actions portées au niveau européen et international", indique le gouvernement pour qui "ce sont plus d’une centaine de mesures proposées par la Convention citoyenne pour le climat qui sont aujourd’hui déjà en mises en œuvre ou en passe de l’être partiellement ou totalement, sur les 146 retenues par l’exécutif fin juin 2020".
Mais les mesures proposées, bien que s'appuyant pour la plupart sur des textes existants, pèchent par des échéances d'application lointaines, voire imprécises. En particulier :
- Consacrer "20 % de la surface de vente à la vente en vrac dans les commerces de vente au détail dont la surface est supérieure à 400 m2" (Art. 11) : entrée en vigueur prévue au 1er janvier 2030
- Obligation de mise en place d’une "consigne pour les emballages en verre, de manière à ce qu’ils soient lavables et réutilisables" (Art.12) : mesure qui pourra être généralisée à partir de 2025.
- Obligation de "végétaliser ou de solariser les bâtiments de plus de 500 mètres carrés" (Art.23) : entrée en vigueur prévue au 1er janvier 2030
- A partir de la Loi de finances 2023, définition par le gouvernement d'une "trajectoire de suppression du dispositif de remboursement partiel de la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE) relative au gazole prévu à l’article 265 septies du code des douanes" (Art.28) : suppression annoncée pour 2030
- Fin de la "vente des voitures particulières neuves émettant plus de 95 gCO2/km NEDC soit 123 gCO2/km WLTP, à l’exception des véhicules destinés à des usages spécifiques lorsque leurs caractéristiques le nécessitent et dont le volume ne pourra excéder 5 % de l’ensemble des ventes annuelles de voitures particulières neuves" (Art. 28) : entrée en vigueur prévue au 1er janvier 2030 ; élargit la loi LOM n°2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités
- Pour le transport aérien : "à défaut de la prise en compte par le secteur aérien d’un prix du carbone suffisant au niveau européen, par exemple sous la forme de mesures fiscales nouvelles ou par la suppression totale des quotas gratuits, le Gouvernement présente au Parlement, au plus tard à la date de dépôt du projet de loi de finances pour l’année suivante, une trajectoire d’évolution du tarif de la taxe de solidarité" sur les billets d'avion" (Art. 34) ... "dès que le trafic aérien de, vers et à l’intérieur du territoire français d’une année civile atteint, en nombre de passagers, le trafic de l’année 2019"
- "Audit énergétique" des bâtiments : entrée en vigueur prévue au 1er janvier 2024 (Art. 38-39) ; interdiction de la location de logements "passoires thermiques" (Art. 41): entrée en vigueur prévue au 1er janvier 2030 ; élargit la loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat
- Sur un base d'expérimentations volontaires, les collectivités proposeront chaque jour dans les cantines scolaires un menu végétarien : élargit la loi 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole
- La restauration collective privée proposera 50 % de produits durables et de qualité dont au moins 20 % de produits issus de l’agriculture biologique (Art. 56-58) : Dans le cadre du Programme national pour l'alimentation, entre en vigueur à partir de 2025.
- La mise en place d'une "redevance si la trajectoire de réduction des émissions de protoxyde d'azote et d'ammoniac du secteur agricole jusqu'en 2030" à hauteur de 13% par rapport à 2005 n'est pas tenue : entre en vigueur sur les engrais azotés à partir de 2025
Des mesures peu incrémentales
D'autres mesures applicables dès la promulgation de la loi s'appuient également sur des textes existants : ainsi, les articles 1, 4, 7, 9, 10 et 13 viennent élargir la loi "Anti-gaspi" n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC) tout en concrétisant des mesures emblématiques portées par la convention comme l'étiquetage sur le contenu carbone des produits, l'interdiction de la publicité pour les énergies fossiles ou la distribution de prospectus non adressés dans les boîtes aux lettres (sauf affichage volontaire d'un consentement), la restriction de la distribution d'échantillons, et la durée de mise à disposition de pièces détachées pour la distribution d'appareils. Ce, tout en renvoyant à la parution ultérieure des décrets d'application fixant la liste des produits ou services concernés.
S'adossent également à des textes existants l'orientation de la Stratégie nationale de recherche scientifique (Art. 14), qui "vise à répondre aux défis scientifiques, technologiques, environnementaux et sociétaux", qui renvoie à la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) ; le chapitre relatif au développement de l'agroécologie (Art. 59-61) s'appuie quand à lui à la fois sur la Politique Agricole Commune (PAC, la SNBC et la Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée - avec un mécanisme d'alerte pour les importations agricoles Art. 60). L'affichage d'un label reconnu par les "entreprises se revendiquant du commerce équitable" (Art. 62) sera quand à lui obligatoire d'ici 2023, la liste des labels agréés étant renvoyée à la révision de l'article 60 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des PME par la commission "3C" de Bercy.
A noter pour le reporting extrafinancier des entreprises l'article 32, qui prévoit l'inclusion dans les Déclarations de Performance extrafinanncière (rapports DPEF), à partir de janvier 2022, des informations détaillant "les postes d'émissions directes et indirectes liées aux activités de transport amont et aval, ainsi qu'un plan d'action visant à la réduire".
Enfin, le très attendu article 63 relatif au "délit d'écocide" a pour point de départ le délit de pollution des eaux déjà prévu par l’article L. 216-6 du code de l’environnement, qui devient un "délit de pollution des eaux, du sol et de l'air". Le texte prévoit une gradation des sanctions selon que les faits découlent d'un non-respect des obligations de sécurité par le fautif, ou de leur violation intentionnelle, les sanctions d'écocide proprement dit étant réservées aux atteintes provoquant des atteintes durables ou irréversibles à l'environnement.
Décentralisation et commande publique
Si la plupart des mesures évoquées ci-dessus demanderont des efforts aux acteurs privés, plusieurs dispositions concernent cependant le secteur public.
- Une modification des critères des appels d'offres de la commande publique (Art. 15), qui introduit une notion de mieux disant à la fois économique et environnemental "sur la base d'un ou plusieurs critères dont l'un au moins prend en compte des caractéristiques environnementales de l'offre".
- La possibilité de réformer du code minier par ordonnance (Art. 20) sur tout le territoire national y compris l'outre-mer et la responsabilité renforcée des opérateurs sur leur gestion des risques environnementaux et la remise en état des sites.
- La stratégie de développement des énergies renouvelables (Art. 21) qui s'inscrit dans la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et renvoie sa déclinaison aux Sraddets et PCAET régionaux.
- La décentralisation de la mise en place d'écotaxes assises sur le trafic routier de marchandises, par les régions qui constatent un trafic soutenu
- Le ralentissement de l'artificialisation des sols par la révision des documents d'urbanisme et du schéma de cohérence territorial, afin d'atteindre l'object "zéro artificalisation nette" (Art. 47), l'arrêt des autorisation commerciales pour les implantations ou extensions excédant un total de 10.000 m2 de surface de vente, et l'inclusion de la "réversibilité" des bâtiments dans les dossiers de permis de construire déposés après le 1er janvier 2023 (Art. 52).
Un train de mesures "citoyennes"
Le projet de loi embarque par ailleurs quelques autres mesures citoyennes, largement commentées ces derniers mois par la société civile : pêle-mêle, l'interdiction des terrasses chauffées, la création d'un maillage d'aires naturelles protégées, les expérimentations de voies réservées sur les routes aux véhicules les moins polluants, l'interdictions des avions publicitaires, la police des enseignes publicitaires confiée aux maires, l'encadrement des loyers pour les logements peu performants énergétiquement et provisions pour rénovation énergétique dans les copropriétés, mesures de senseibilisation et formation professionnelle à l'écologie et à l'éco-conduite, tarifs de trains TER plus bas, création de zones à faibles émissions (ZFE) pour les communes de plus de 150.000 habitants, interdiction des vols intérieurs si une alternative de moins de 2h30 existe et comensation carbone de ces vols...
Deux déceptions cependant pour les "conventionnels". Tout d'abord, l'objectif de rénovation du parc de logements dès 2024, pourtant considérée comme l'une des mesures climatiques les plus efficaces. Le gouvernement a confié à Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des Dépôts et directeur de la banque des territoires, une mission pour piloter une task force dédiée aux nouvelles offres de rénovation des passoires énergétiques. Cette dernière devra faire émerger des voies d'amélioration et des modèles de massification d'offres de rénovation globale des passoires énergétiques. Deuxième espoir déçu, celui de l'éco-conditionnalité des aides publiques.
En revanche, le volet constitutionnel, visant à inscrire à l’article 1er de la Constitution que la France « garantit la préservation de la biodiversité et de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique », suivra une voie d'adoption séparée après une présentation en Conseil des ministres prévue le 20 janvier.
(Photo : Convention citoyenne pour le climat, DR)