Le marché des green-bonds en quête de maturité

Le marché des obligations vertes, en pleine croissance cherche la voie de sa maturité entre volume, transparence et pricing. Décryptage à l'occasion des Matinales GreenBonds organisées ...
Le marché des obligations vertes, en pleine croissance, cherche la voie de sa maturité entre volume, transparence et pricing. Décryptage à l'occasion de la conférence Matinales GreenBonds organisée par nos confrères d'Option Finance. "From Billions to Trillions", titrait un papier remarqué de la Banque Mondiale l'an dernier en référence au coût de la transition énergétique. C'est en effet 5.000 à 7.000 milliards de dollars qui seraient nécessaire chaque année d'ici - au moins - l'horizon 2030 pour assurer mondialement le scénario de transition vers l'objectif "2 degrés" des accords de Paris. La "tragédie des horizons" annoncée par Mark Curney à l'origine de la TCFD, le World Economic Forum de Davos 2017 largement consacré au risque climatique, illustre bien l'enjeu également décrit par Henri de Castries - PDG d'AXA : "un monde à 4 degrés sera inassurable." Dans ce contexte dont la prise de conscience devient réelle dans la sphère financière, les obligations vertes s'annoncent comme un instrument d'avenir pour assurer le financement de projets effectivement verts, l'accès des entreprises à de nouvelles sources de capitaux, voire à un nouvel équilibre des investissements souverains et transnationaux nécessaires à la transition non seulement énergétique mais vers l'ensemble des Objectifs de Développement Durable (ODD) de l'ONU.
Un encours multiplié par 25 en 4 ans
Si les green-bonds représentent actuellement 0,2% des émissions "fixed income", le marché est en effet en forte croissance, tiré par la demande : on s'attend à 250 Md$ d'émissions en 2017, soit près du double de 2016, soit encore... 25 fois le montant des 10 Md$ d'encours constatés en 2012. Certes, cela semble encore loin des 7.000 Md$ des besoins mondiaux, mais le marché est bel et bien tiré par la demande, porté par des investisseurs qui font le tour des émetteurs et arrangeurs avec la question "j'ai des mandats ISR, qu'avez-vous pour moi ?" Si on compte dans le monde 52 banques émettrices ou investisseuses (Crédit Agricole étant le pionnier français), en Europe les investisseurs sont traditionnellement issus des pays du nord ou d'Allemagne. Ensuite, on voit apparaître aussi depuis peu des investisseurs "retail" qui ont une demande forte d'une transparence avec des métriques simples et directs pour leurs clients finaux. Enfin, des "family-offices" qui recherchent des placements qui font du sens pour des clients qui, dans une démarche volontariste, cherchent à léguer à leurs enfants un monde meilleur plutôt que de leur assurer à court terme quelques points de rendement supplémentaire. Les collectivités - qui émettent 70% des GES mondiaux - ont aussi de plus en plus recours à ce mode de financement - particulièrement dans le monde anglo-saxon - mais qui n'est pas sans précédent en France (région PACA en 2012 puis régions Ile- de- France et PACA en 2015). Quand aux "corporate", un certain nombre de grands émetteurs sont déjà présents sur ce marché comme EDF, Engie, Air Liquide (dès 2012), avec un focus sur des projets très gourmands en "capex" qui pour certains n'auraient pas pu être financés par le private equity ou la dette classique. Les entreprises plus petites, elles, bien que porteuses de projets pertinents, sont souvent rebutées par le coût d'entrée de leur première émission, mais pourquoi ne pas envisager des syndications de petits émetteurs, voire des placements privés ?
Pertinence du projet sous-jacent
Dans tous les cas, les investisseurs scrutent la transparence du process tout au long de la vie du titre selon trois critères clé : pertinence du ou des projet sous-jacents - si possible vérifiée ex-ante par une second-opinion indépendante - transparence de l'allocation des fonds levés qui doivent être traçables, et enfin reporting régulier ex-post sur la bonne réalisation des projets et de leurs impacts. Quel que soit le référentiel de l'investisseur, le choix des projets devient déterminant : énergie et décarbonation, mais aussi de plus en plus déchets, recyclage, eau, biodiversité ... les investisseurs ISR sont passés d'une logique d'"exclusion des mauvais" à une logique affirmée de sélection choisie. Si les avis convergent vers l'application à l'entrée des Green Bond Principles (GBP) qui précisent dans son référentiel des modalités d'émission vertueuses, des interrogations subsistent sur le référentiel à utiliser pour le choix des sous-jacents : on n'appliquera pas les mêmes méthodes pour un projet de décarbonation que pour un projet d'assainissement, voire pour l'inclusion de critères sociaux, ou de projets "intangibles" comme de la recherche et développement. En effet, la principale difficulté de l'évaluation est le choix du "scénario de référence" et particulièrement celui des émissions évitées : bien souvent ce scénario est trop théorique donc... l'évaluation finale l'est aussi. Selon certains praticiens, une bonne pratique est d'ajuster les key performance metrics du scénario de référence (il en faut bien un) par rapport aux spécificités du marché local : un projet photovoltaïque n'a pas la même "valeur" compte tenu du marché français de l'électricité que le même projet sur le marché marocain.
En tous cas, il faut standardiser, disent émetteurs et investisseurs qui en appellent même à l'Etat voire à l'Union Européenne pour définir ce qui "vert" vs. ce qui est "brown", afin de garantir la croissance des volumes sans compromettre la qualité - et surtout sans sombrer dans le travers du "greenwashing". Les agences de notation extra-financières l'ont bien compris et s'attachent maintenant à proposer, en plus des frameworks d'independent review ou de second opinion, des méthodes customisables d'évaluation en cours de vie, comme Standard & Poor's - qui a acquis récemment le spécialiste de l'évaluation carbone TrueCost - et qui compte lancer mi-2017 une nouvelle notation composite des projets éligibles aux financements green-bonds. Un long chemin, qui sera fait d'expérimentations successives, comme le soulignait Pascal Canfin dans son intervention.
Prime d'émission - ou pas ?
Théorie financière oblige, une obligation verte est un titre obligataire, qui est donc coté essentiellement sur la signature de l'émetteur : pas de prime d'émission, donc (ou de discount, selon le point de vue) basé sur le caractère "vert". Cependant, des voix s'élèvent chez les émetteurs pour penser que le prix d'une obligation verte mériterait un petit coup de pouce, ne serait-ce que parce qu'être capable d'émettre un green-bond, c'est déjà démontrer sa capacité à avoir intégré le risque climatique, avoir réfléchi à son business-model de demain, et avoir intégré les bonnes pratiques des GBP. Certes, répliquent les investisseurs et les banques arrangeuses, mais avoir la capacité d'émettre un green-bond, c'est surtout se garantir grâce à ce signal fort un accès de long terme au marché de capitaux, tant au moment de l'émission que lors d'abondements ultérieurs, pour construire progressivement une courbe de marché secondaire qui soit solide et prévisible. Bref, à émetteur égal, prix égal à un programme EMTN classique, mais un accès privilégié au marché obligataire en attirant des investisseurs qui ne seraient pas venus autrement que sur ces critères, et qui sont aussi rassurés par des investissements de long terme souvent sécurisés par des contrats longs - garantie d'un secondaire plus stable. Cependant certains acquéreurs entrouvrent la possibilité, avec la maturation de ce compartiment , d'une modulation à la baisse du prix du capital dès lors que l'accès au marché de l'émetteur est reconnu, par des mécanismes de marché, voire des incitations fiscales ou (peut-être plus justement) prudentielles : une autre façon de pérenniser la demande ... et l'offre.
Par ailleurs, le contrôle du titre en cours de vie doit être assuré : agence indépendante ou commissaire aux comptes, peu importe, du moment qu'un reporting transparent est assuré sur une base annuelle, afin d'anticiper également tout dérapage en cours de route. Car en cas de défaut de l'émetteur, aucune conséquence particulière n'est encourue par rapport à une obligation classique : une idée qui pourrait faire son chemin serait d'introduire des covenants spécifiques adaptés aux sous-jacents verts, ce qui entrouvre une autre piste pour une modulation des prix à terme par rapport aux obligations plain-vanilla.
Innovation financière
Ce qui est sûr, c'est que la créativité financière autour des obligations vertes va se développer, et que, transparence aidant, on va peut-être vers une classe d'actifs à part entière. Le risque climat, il y a encore peu non évalué en tant que risque systémique, est maintenant bien à l'esprit des marchés de capitaux et les green-bonds sont maintenant perçus comme l'instrument incontournable pour flécher ces capitaux vers des investissements de transition énergétique, décarbonation, infrastructures vertes, avec leurs corollaires de transformation sociale, urbanisme, mobilité, etc. Certains en appellent, à l'instar de l'esprit de la récente émission souveraine française, à ce que l'Europe s'empare du sujet en créant un label "politique" pour flécher ce qui est "vert" au sens des besoins que l'Union aurait explicitement identifiés dans les décennies à venir pour réussir sa transition climat - et s'emparer ainsi pleinement d'une chance historique d'être leader mondial sur ce marché.
Au-delà de l'Europe, les émissions d'obligations vertes pourraient aussi devenir l'instrument d'une nouvelle politique de rééquilibrage Nord-Sud puisque, si les acheteurs sont actuellement dans les pays du nord de l'Europe, les besoins sont dans les pays du sud, et sur les continents africains et sud-américains. Rééquilibrage entre états (on suivra avec intérêt la prochaine émission en préparation par le Nigeria ce printemps 2017) ou pourquoi pas avec la participation du privé, pour faire émerger des opérateurs à dimension sociale dans les zones qui en sont démunies.
La tendance pourrait bien aussi faire tache d'huile et s'étendre à un système de "green-loans" : des prêts bancaires affectés au financement d'actifs verts des entreprises, avec une obligation de transparence analogue pour la société emprunteuse, mais aussi un "bonus prudentiel" pour la banque prêteuse qui verrait s'alléger sa consommation de fonds propres. Des expérimentations sont déjà en cours avec certains réseaux bancaires comme BPCE avec le concours de l'ORSE, que l'on suivra avec intérêt.
A lire aussi :
- Rapport "Le secteur bancaire face au changement climatique" - Banque de France, AMF, ACPR (2017- FR), sur l'intégration prudentielle du risque systémique climat et une intéressante analyse des canaux de propagation du risque climat au système bancaire (rapport en consultation jusqu'au 16/04/2017)
- G20 Green Finance Synthesis Report (2015 - EN), qui identifie les freins au développement des financements par green-bonds et préconise des mesures pour la croissance de ce segment
INTERVENANTS
>Voir la fiche détaillée de l’opération Emission Green-Bond - SNCF RESEAU - 201704Emetteur | SNCF RESEAU |
Arrangeur | BNP PARIBAS Groupe | CACIB - CREDIT AGRICOLE CIB | GOLDMAN SACHS | JP MORGAN | NATIXIS |
Emetteur | SNCF RESEAU - Bernard Torrin |
Télécharger: Rapport "Le secteur bancaire face au changement climatique" - Banque de France, AMF, ACPR (2017- FR)
Télécharger: G20 Green Finance Synthesis Report (2015 - EN)
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- Stratégie Energie - Climat : "Pour un euro d’aide d’urgence, l’Etat s’engagerait à un euro de dépense pour la transition” (CESE)
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