COP 27 : l’adaptation, le nouveau défi de la finance

Alors qu’un Agenda Adaptation à 2030 est désormais formalisé à la COP27, la mobilisation des acteurs de la finance publique et privée est plus que jamais nécessaire… mais se heurte à de nombreux freins, dont des rendements financiers peu lisibles.
Jusqu’à présent négligée, l’adaptation est cette année l’une des grandes stars de la COP 27. Le message d’urgence semble être bien passé. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, les flux financiers dirigés vers l’adaptation au changement climatique sont encore (très) loin de répondre à ces besoins. Dans son dernier rapport, la Climate Policy Initiative les a chiffrés à à peine 46 Md$ pour la période 2019-2020, en augmentation par rapport aux années précédentes (30 Md$ en 2017-2018), mais encore largement insuffisants : "le financement de l’adaptation ne représente qu’à peine 7 % de la finance climat au niveau international", soulignait Barbara Buchner, Directrice de la Climate Policy Initiative lors de son intervention à une table ronde dédiée au sujet ce mercredi. Pour les Nations Unies cette proportion devrait idéalement atteindre les 50 %. Et ces financements proviennent essentiellement de bailleurs publics, toujours selon la Climate Policy Initiative : en Afrique, par exemple, ils représentent 97 % des montants dédiés au sujet.
Des enjeux conséquents
Les enjeux sont de taille : pour la première fois, un agenda dédié a même été lancé par la Présidence de la COP. Dénommé l'"Agenda Adaptation de Charm-El-Cheik", son objectif est d’améliorer la résilience des quelques 4 milliards de personnes les plus exposées aux effets du changement climatique, avec un premier bilan qui sera publié dans un an lors de la COP 28. Ce plan liste 30 objectifs à mettre en œuvre d’ici 2030 pour rallier acteurs étatiques et non-étatiques autour de priorités communes sur les sujets agroalimentaire, eau et nature, littoraux et océans, établissements humains ou encore infrastructures. Parmi elles, la protection et la restauration de 400 millions d’hectares dans des zones critiques tout en protégeant les communautés locales et indigènes mais aussi la transition vers une agriculture durable et résistante au climat pour augmenter les rendements de 17 %. Le tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre de 21 % et sans élargir les frontières agricoles. Mais ces mesures ont un coût, entre 140 et 300 Md$ par an rien que dans les pays en développement selon les Nations Unies, et jusqu’à près de 600 Md par an au niveau international d’après le FMI.
Dans ce contexte, il ne s’agit pas uniquement d’augmenter les montants alloués mais aussi de trouver de nouveaux mécanismes innovants pour s’adapter à la particularité des projets d’adaptation, expliquent les experts. Dans un rapport technique complémentaire à "l’Agenda Adaptation de Charm-El-Cheik" et publié en partenariat avec le Boston Consulting Group, les Nations Unies font un appel du pied aux bailleurs - publics et privés - et listent une série de solutions pour financer au plus vite - et au mieux - l’adaptation.
Séduire la finance privée
Pour les investisseurs privés, les freins sont nombreux : la complexité des projets, le temps de montage accru, les coûts de transaction élevés mais aussi l’absence de données, et le haut niveau d’incertitude et de risque les rebutent. Sans compter sur des environnements d’investissement souvent peu favorables, surtout dans les pays en développement qui sont justement ceux qui doivent rapidement s’adapter. Alors pour tenter de catalyser la finance privée, les banques de développement testent de nouvelles solutions, à l’instar de la finance concessionnelle pour dérisquer les projets ou encore l’acceptation en interne d’un plus haut degré de risque, explique Laura Piovesan, Deputy Director General de la Banque Européenne d’Investissement, qui a pris l’engagement de multiplier par 3 ses montants alloués à l’adaptation.
Autre difficulté - et de taille - pour attirer les acteurs privés : "le retour sur investissement de ces projets n’est pas toujours très clair", explique Charlotte Gardes, experte en changement climatique et stabilité financière au FMI. Il manque des projets "bancables", c’est à dire rentables, abonde Seyni Nafo, coordinateur de l’Africa Adaptation Initiative. Si en 2021 environ 20 % des pays avaient bien développé un plan d’adaptation, ces derniers ne sont en revanche pas suffisamment traduits dans des plans d’investissement structurés qui pourraient générer suffisamment de confiance chez les investisseurs, pointe l’expert. Ce qui est certain, pour Selwin Charles Hart, Conseiller spécial sur ces questions d’Antonio Guterres, le Secrétaire Général des Nations Unies, c’est que pour y arriver il va falloir une collaboration accrue entre bailleurs publics et privés : "l’approche en silos ne fonctionne pas et nous avons besoin de nouveaux business models", martèle l’expert.
Meilleure prise en compte des risques physiques
Plus de collaboration mais aussi plus de créativité, pointe Charlotte Gardes, entre revenus générés par les crédits carbone qui pourraient être dirigés vers des projets d’adaptation et définition de caractéristiques de projets d’adaptation et de résilience dans les taxonomies durables nationales ou régionales pour mieux attirer les capitaux. Pour Nicola Ranger, en charge de la recherche en finance durable pour le développement à la Smith School of Enterprise and the Environnement à l’Université d’Oxford, il serait toutefois réducteur de penser le problème uniquement en termes de flux financiers dirigés vers l’adaptation…il faudrait déjà s’assurer que les milliards brassés sur les marchés financiers prennent mieux en compte l’adaptation dans leurs décisions d’investissement : "nous devons nous assurer que les capitaux ne vont pas dans la mauvaise direction et sont dirigés vers des projets qui soutiennent l’adaptation." En d’autres termes, il faut une meilleure prise en compte des risques climat physiques dans les décisions d’investissement. Or pour Marie Brière, qui dirige l’Investor Research Center d’Amundi, c’est encore loin d’être le cas : "les marchés répondent essentiellement aux risques de transition, pas encore aux risques physiques…sauf quand ils les expérimentent directement". Ce qui est toutefois amené à être de plus en plus fréquent…
(Illustration : stock image)